
Je me trouve entouré de différents équipements collectifs. En face de mes fenêtres, se succèdent, en quinconces, une clinique, une maison de retraite et une résidence étudiante. La nuit, une femme tousse. Du moins il me semble, à la tessiture de la toux, que c’est une femme, mais il s’agit peut-être d’un homme au timbre aigu ?
On tousse, donc, toutes les nuits. C’est un fait. Quelqu’un se meurt longuement d’une quinte de toux infinie, juste en face, à quelques mètres, chaque nuit.
C’est la nuit que l’on entend tousser. Effet de la position allongée qui favorise le reflux de sucs gastriques dans l’œsophage ? Possible, mais je ne pense pas aux remontées acides: je pense à la mort. Je pense que quelqu’un meurt là bas, en face. Je pense que beaucoup de gens meurent là bas en face et moi aussi, je meurs, quoique plus lentement. Je pense que le temps file entre mes doigts, tandis que je ne fais rien contre. Et que devrais-je faire ? Mais travailler, aurait dit Andy Warhol. Bon sang, oui, c’est évident. Travailler. Rien d’autre à faire. Si. Quoi ? Rien. Ah oui, mais non. Mais si. Ah.
Cette présence de la mort est elle pour quelque-chose dans le fait qu’il m’est de plus en plus long, chaque matin, d’organiser le sourire du jour ?
Je crois que c’est aussi dû à la pauvreté des propos, à la rareté des échanges, à l’idiotie ambiante. J’allume la radio et c’est tellement idiot ce que j’entends que j’éteins aussitôt. Je refuse de haïr. Je refuse d’être contre. Il y a déjà tant de poids mort. Tant de gens qui se plaignent. Tant de soupirs inutiles, de vains râles. Ce qui est trop idiot ne mérite pas d’être écouté. On n’a pas tant de temps à perdre puisque l’on meurt. On meurt en face, pour me le rappeler.
Parfois, une voix s’élève, souveraine. Mais rarement l’été.
L’été, l’idiotie règne dans les rédactions et sur les plateaux. Une idiotie lourde, que la chaleur n’arrange pas. Je vois que je progresse au fait que ce ne sont plus les adjectifs que je retire mais les adverbes. Les adjectifs, il n’y en a plus qu’un ou deux de loin en loin.
Alors, oui, c’est plus long de sourire, plus long de sortir du lit, plus long de faire des abdos, quelques mouvements, de prendre une douche. Plus long d’être en vie, en train, en souplesse, en agilité, en réponse du vent, en prise avec la lumière, en vibration.
Heureusement, R. m’a inoculé l’ habitude matinale du jus de pommes-carottes-gingembre-curcuma extrait à vif et bu sur le champ. Il faut ensuite laver l’extracteur et cela procure un moment zen. Ce matin, on avait même ajouté un peu de fenouil.
Il faut dire qu’avant on avait regardé un autre épisode des Soprano entre sept et huit heures parce que celui d’hier soir était décidément trop triste. On ne peut pas commencer une journée en tristesse. Et puis c’était encore une belle journée roborative. Nous avions bien mangé et bu la veille, avec bro aux Bancs Publics.
Les Bancs Publics, c’est devenu ma cantine, avec le chantier qui est juste à côté. J’y avais déjeuné avec D. et nous avions été rejoints par G. Avec force rosé. Maintenant, deux semaines sans une goutte d’alcool, me suis-je dit. Et c’était ma première journée. Et c’était frais.
Éditions des voix de B., enregistrées lundi, des plans du studio, revus hier, sur place, en réunion de coordination. Passage aux impôts pour régler une vieille taxe d’habitation. Deux courses et hop. La fibre est HS mais j’ai de la 4G. Tout va bien.
Il faudrait repasser des chemises.