Ca suffit, me dis-je, ça va bien comme ça. On n’est pas là pour discutailler. On n’est pas là, tout court, me dis-je. On est las.
Alors, finito, basta, hasta la vista, safi baraka. À partir d’ici, plus de discussion. J’écris sans réplique et sans adresse. À même le sable, à même le vent. Je me suis installé dans la salle de cours théorique numéro un et j’écris en écoutant No Pussyfooting de Robert Fripp et Brian Eno. J. s’arrête sur le seuil et me demande s’il peut venir faire du yoga avec moi. – C’est open, je réponds.
Là-dessus, W. débarque avec sa liste de matériel. Normal, nous avions rendez-vous. Mais S. n’est pas là. Il est en formation. Alors j’écris un mail à S. pour autoriser W. à emprunter du matériel. Voilà.
Et je remets le son. O. m’envoie une composition récente. Je regarderai / écouterai tout à l’heure. Et puis là, tout de suite, c’est S. qui entre. – Ca y est j’ai terminé mon installation vidéo, qu’il dit. – On peut la voir ? – que je demande. – Pour sûr, qu’il répond. – Bingo!
Alors on y va. Le temps que J. soit prêt et que je termine d’écrire cette phrase.
À cinq heures du matin, le réveil a sonné et rien ne m’avait préparé à cela.
Il fallait tout de suite être opérationnel, recoller les morceaux, avoir la bonne série de gestes. À six heures la série de gestes n’était pas tout à fait exécutée.
À six heures cinq il aurait fallu être dehors, mais je n’y fus qu’à six heures neuf. Il fallut courir. Il fallut soupirer.
Mais l’on attrapa le train de 6h40 et l’on s’y reposa. Tout cela pour se retrouver devant une classe vide avec un RT60 de quatre secondes.
À trois, on regarde Nuages Flottants de Mikio Naruse, ce qui nous mène à 11h40. Evidemment, c’est une beauté, même avec une très mauvaise copie et dans des conditions de projection approximatives. Même avec deux étudiantes dont l’une regarde l’écran de son ordinateur portable et l’autre son téléphone. De temps en temps, lorsqu’il y a une explosion dans le film, un regard furtif pour s’étonner, avant de revenir à l’inessentiel.
Tristesse et solitude.
Je remets en liberté mes deux étudiantes admirables de zèle. J’écris des mails menaçants aux autres.
Bon, il y a cette étudiante qui est à Paris pour accueillir Xi Jinping, son dictateur chéri et je lui demande d’obtenir du président chinois une attestation de présence. Il y a tous ceux qui sont en stage, malades, en restitution de workshops, etc. Tout le monde a une bonne raison de n’être pas là. C’est rassurant. Je programme un contrôle sur table de quatre heure pour la rentrée.
J’avance sur divers projets. C’était bien la peine de se lever aux aurores, m’étais-je dit.
Pause poulet frit. Tarte au citron meringuée et café.
L’après-midi, c’est mieux et plus constructif. J’aime écouter les étudiants de troisième année parler de leur travail pendant dix minutes sans interruptions et sans questions. C’est disruptif et instructif.
Après, je suis allé m’acheter une cinquantaine de paire de chaussettes, une salade de lentilles, une tablette de chocolat noir 78% de cacao, deux pommes Fuji, un sandwich saumon-aneth et une bouteille d’eau minérale de la source Montclar, spécialement sélectionnée pour moi par Monoprix. J’en ai les larmes aux yeux.
Et je suis rentré, par le bus C3, arrêt Malo Plage. Dans le vent, jusqu’à l’Escale. Chambre 317. J’y suis. Nous y sommes. Avec vue sur la mer et sur le FRAC. Il vente. C’est beau et un peu effrayant.
Comme je m’ennuie je poste quelques phrases pleines de mépris de classe sur Facebook, dans l’espoir de m’attirer une volée de commentaires haineux. Ca ne manque pas et ça me fait ma fin d’après-midi.
Comme souvent le mercredi, lorsque je dépose C. à son cours de modelage, je vais passer une heure dans un espace de co-working, rue Greneta. C’est un peu comme d’aller visiter des parents éloignés.C’est famille, c’est calme.
On peut se faire des cafés, grignoter des spéculos.Il y a des gens qui travaillent en silence. On n’entend que le tapotis des claviers de portables.Clic, clic, clic, clic.
Avant, j’étais allé place d’Italie à l’agence Z. pour faire un point sur l’étude acoustique, puis j’étais allé chercher C. et nous étions allés manger des sushis rue Rambuteau. J’avais successivement rencontré N. puis M-E. Et puis, nous étions passés par la FNAC parce qu’il me fallait absolument un cordon pour recharger mon téléphone.
J’en ai pris un de trois mètres. C’est délirant. Je ne sais pas très bien pourquoi il n’y en avait pas de moins long, de la bonne qualité.Trente euros, tout de même. C’est scandaleux.Je rêve d’un Motorola. D’un blueberry. D’un be-bop. D’un Tatoo.
Hier nous étions allé voir le film de H.V. avec une performance et une vidéo de J.C. et c’était comme de retrouver la famille.
Elles ne bougent pas.
Et il y a les enfants dans le film. Et toute la famille D. Film de famille, donc.
On a fini toutes les saisons de « The Wire » et on s’est mis à « Treme ». Je viens de regarder la signification de « Treme » dans Wikipedia et c’est un nom propre, qui désigne un quartier de la Nouvelle Orléans, tout bêtement. On se demandait, hier avec R., en regardant le générique.
Bruit des tasses. Il est 14h46. Je vais bientôt y aller.
Et à l’instant je reçois une brochure pour de nouvelles cloisons acoustiques développées par Placo. Il faut que je regarde ça de plus près.
Je m’étais dit soudain que ça allait bien comme ça, qu’on s’en fichait de l’autobiographie, que c’était une époque révolue, un dispositif obsolète, que l’on avait changé de paradigme, que l’on était entrés dans une nouvelle ère, qu’il fallait en finir avec les identités, les subjectivités, les égos, les moi-je, qu’il fallait inventer autre chose, se fondre dans le Grand Tout, dans le Cosmos. Et puis, finalement, je m’étais dit, non. Non, je m’étais dit. Finalement, non. Finalement, oui. Pour finir, oui, oui, continuer, m’étais-je dit. Continuer contre vents et marés. Avec vents et marés. Pertes et fracas. Et donc, et donc ?
Et donc nous sommes mardi dix neuf mars et une forte odeur de détergent industriel flottait dans ma cellule deux cent dix huit, m’asphyxiant à moitié. J’avais ouvert la fenêtre pour laisser entre la fraîcheur de l’air marin contaminé par des émanations toxiques en provenance des sites industriels. Un bon bol de gaz dunkerquois m’étais-je dit. Dans le soleil du matin. Croissants et confiture de prune puis une petite marche dans le soleil aveuglant, jusqu’à l’école d’art, déserte, toujours.
J. et D. avaient fait tourner les tables de la salle des profs et j’expérimentai cette nouvelle disposition, pratique en ce qu’elle permettait d’accéder plus directement au bloc de prises murales. L. avait dégagé son matériel de dessin. Le frigo était cassé et évacué depuis des semaines. Le four à micro-ondes était remisé dans le hall.
Il ne se passait rien. Il n’y avait pas de rendez-vous et peu de monde dans l’école. Alors j’avais constitué une feuille d’expression de besoins pour l’atelier vidéo-son et l’avais posté et j’étais maintenant en train de me demander de quoi cette journée allait être faite.
J’irai déjà faire un tour dans les boxes, m’étais-je dit.
Alors je suis allé faire un tour et je suis tombé sur J. Nous sommes montés à l’étage de la vidéo pour déposer une mandarine et nous y avons rencontré C., S. et P. qui déplaçaient des meubles. L’on s’est un moment interrogés sur l’opportunité d’une redistribution des locaux. Puis je suis redescendu d’un étage. J’ai vu R., qui fait tremper des photographies dans un canal pendant des mois avant de les sortir et de les accrocher. Il était en train de bricoler un système électronique permettant de faire apparaître une image vidéo en soufflant sur une petite hélice. Je lui ai promis de beaux grincements de porte et je suis allé voir D.J. qui montrait ses vidéos à P.D.
On reste un moment à discuter puis j’ai faim et je vais manger du poulet frit au restaurant japonais. Au retour, il y a du café et puis un artiste qui présente ses dessins, faits en collaboration avec tout un tas de gens un peu partout.
A. m’appelle pour me dire que la porte du studio aurait peut-être été visitée. La clef ne s’y introduit plus facilement. Je me renseigne sur les systèmes d’alarme.
Je me souviens que dans mon rêve de lundi matin, j’étais flanqué d’un assistant qui ne cessait de se précipiter dans des talus et de se laisser tomber du haut des falaises, se rattrapant toujours miraculeusement et l’air de rien.