
Je m’étais dit soudain que ça allait bien comme ça, qu’on s’en fichait de l’autobiographie, que c’était une époque révolue, un dispositif obsolète, que l’on avait changé de paradigme, que l’on était entrés dans une nouvelle ère, qu’il fallait en finir avec les identités, les subjectivités, les égos, les moi-je, qu’il fallait inventer autre chose, se fondre dans le Grand Tout, dans le Cosmos.
Et puis, finalement, je m’étais dit, non.
Non, je m’étais dit. Finalement, non.
Finalement, oui.
Pour finir, oui, oui, continuer, m’étais-je dit.
Continuer contre vents et marés. Avec vents et marés. Pertes et fracas.
Et donc, et donc ?
Et donc nous sommes mardi dix neuf mars et une forte odeur de détergent industriel flottait dans ma cellule deux cent dix huit, m’asphyxiant à moitié. J’avais ouvert la fenêtre pour laisser entre la fraîcheur de l’air marin contaminé par des émanations toxiques en provenance des sites industriels. Un bon bol de gaz dunkerquois m’étais-je dit. Dans le soleil du matin. Croissants et confiture de prune puis une petite marche dans le soleil aveuglant, jusqu’à l’école d’art, déserte, toujours.
J. et D. avaient fait tourner les tables de la salle des profs et j’expérimentai cette nouvelle disposition, pratique en ce qu’elle permettait d’accéder plus directement au bloc de prises murales. L. avait dégagé son matériel de dessin. Le frigo était cassé et évacué depuis des semaines. Le four à micro-ondes était remisé dans le hall.
Il ne se passait rien. Il n’y avait pas de rendez-vous et peu de monde dans l’école. Alors j’avais constitué une feuille d’expression de besoins pour l’atelier vidéo-son et l’avais posté et j’étais maintenant en train de me demander de quoi cette journée allait être faite.
J’irai déjà faire un tour dans les boxes, m’étais-je dit.
Alors je suis allé faire un tour et je suis tombé sur J.
Nous sommes montés à l’étage de la vidéo pour déposer une mandarine et nous y avons rencontré C., S. et P. qui déplaçaient des meubles.
L’on s’est un moment interrogés sur l’opportunité d’une redistribution des locaux.
Puis je suis redescendu d’un étage.
J’ai vu R., qui fait tremper des photographies dans un canal pendant des mois avant de les sortir et de les accrocher.
Il était en train de bricoler un système électronique permettant de faire apparaître une image vidéo en soufflant sur une petite hélice.
Je lui ai promis de beaux grincements de porte et je suis allé voir D.J. qui montrait ses vidéos à P.D.
On reste un moment à discuter puis j’ai faim et je vais manger du poulet frit au restaurant japonais.
Au retour, il y a du café et puis un artiste qui présente ses dessins, faits en collaboration avec tout un tas de gens un peu partout.
A. m’appelle pour me dire que la porte du studio aurait peut-être été visitée. La clef ne s’y introduit plus facilement.
Je me renseigne sur les systèmes d’alarme.
Je me souviens que dans mon rêve de lundi matin, j’étais flanqué d’un assistant qui ne cessait de se précipiter dans des talus et de se laisser tomber du haut des falaises, se rattrapant toujours miraculeusement et l’air de rien.