À PLAT

À force de ne rien se passer, il s’en passe des choses.
Et donc maintenant, j’ai changé de vie.
Je ne vis plus à Paris. Nous sommes séparés. Je suis à Montreuil.
R. et G. ont eu la gentillesse de me prêter leur appartement pour l’été et c’est là que je suis.
Le matin, je descend au studio et le soir je rentre.
Ainsi se passent les journées.
Quelques courses de temps en temps mais rien de grave.
Une promenade.

Demain, j’irai courir.
J’ai récupéré un short et des baskets.
Et l’étui pour le téléphone, avec les écouteurs.

Et puis j’irai visiter un appartement que je louerai peut-être à partir de septembre.
Et puis j’irai à une projection de film.
Et je m’occuperai de choses et d’autres.
Et peut-être qu’il y aura des nouvelles des impôts ?
Et des nouvelles de la Birmanie ?

Quelquefois j’ai l’impression de vivre dans un rêve.
Je ne parle à personne de la journée.

Je me lève, je vais jouer de la musique. Je m’arrête pour déjeuner et j’y retourne.
Rien d’autre.
Le soir, je vais jouer de la guitare sur le toit en buvant un verre de vin blanc.
Rien d’autre.

Je ne vois personne, je ne parle à personne.
C’est reposant. Un peu effrayant aussi.
C’est comme si j’étais mort parfois.
C’est reposant d’être comme mort.
On ne vous casse plus les couilles quand vous êtes mort.
Parfois, je me demande si je ne suis pas dans un film de zombies.
J’attends la lettre de l’avocat.
Il faut que je trouve un avocat.
Il paraît.

Il y a C. qui m’appelle une fois par jour. Mon seul lien avec le monde.
Et puis il faut aussi prospecter pour le studio mais les professionnels sont en vacances.

Pour l’instant c’est dimanche, tout le monde est parti.
Tout le monde.
Il n’y a personne.
C’est reposant et un peu effrayant.
Je vais me faire une salade avec du thon.
Voilà.

REVENONS À NOUS

Comme dirait France Gall.
Parce que je revenais moins souvent, m’étais-je dit.
Force m’était de le constater et je le constatais.
Il était temps d’y revenir, m’étais-je dit.

Et puis, en mangeant mes tartines ce matin, je repensais à la conversation avec F.D., l’autre jour, lorsque, pour la deuxième fois, il était venu au studio sauver la situation en faisant observer qu’il fallait tout simplement que la session Protools et la séquence de Media Composer partagent le même Time Code. 

C’était, je me souviens, en mangeant un bibimpap au bœuf.
Il avait été question de ce hiatus qu’il est fréquent d’observer entre la logique d’un projet et la logique de son auteur.

Et, là, maintenant, en mangeant mes tartines, la pensée se présentait ainsi: « s’il est nécessaire de rêver un projet pour le faire advenir, il est tout autant nécessaire de renoncer absolument au rêve et d’embrasser la réalité de ce que ce projet devient en advenant. »

Mais soudain, devant ce mot « advenant », terme ressortissant au droit, me revient une autre pensée du matin. 

En prenant ma douche et tout en veillant à ne pas asperger le carrelage de la salle de bain, je songeais à de curieux concepts, comme ce prétendu « droit au bonheur » dont d’aucuns se réclament et je me disais: « pour qu’il y ait droit, il faut qu’existe pour le garantir une autorité souveraine quant au domaine d’application dudit droit ». Voilà ce que je me disais, me dis-je à présent, sans savoir exactement où cela me mène, sauf à remarquer cette référence à la souveraineté, qui appelle George Bataille, qui appelle la « part maudite », curieusement invitée dans le discours du président au congrès de Versailles.

L’on voit le décousu de la chose.

Les pensées se bousculent parce que le temps presse.
Les journées brûlent comme des mèches et l’on est déjà mort avant d’avoir eu le temps de se le dire, me dis-je.

Alors, maintenant, je m’arrête provisoirement pour reprendre le cours du jour.

Oh, il pleut.