
Parce que, paraît-il, c’est ce soir et que, de toute évidence, nous ne regarderons pas. Au lieu de cela, nous nous sommes réveillés autour de huit heures et j’ai eu la joie de constater que l’écran de mon ordinateur portable n’était pas fendu en deux et cintré mais bel et bien intact.
Dans mon rêve, un vandale avait détruit le portable et je devais en acheter un autre, sauf que les prix des machines avaient terriblement augmenté et qu’un portable coûtait désormais la modique somme de trente mille euros.
Bref, S. hurlait « Papa! Papa! », alors je hurle: « S…! S…! », alors il hurle: « Viens ! Viens! », alors je hurle: « Non, toi, viens! », alors il hurle: « Non, toi! », alors je hurle: « Dans cinq minutes! », alors il hurle: « Non, maintenant! », alors je hurle: « Non, maintenant, je fais la grasse matinée ! Dans cinq minutes! », alors il hurle…etc.
Au bout d’un moment, je le rejoins et lui explique que ce n’est pas une bonne manière de commencer la journée, que ça met une pression inutile, que cela crée une tension, qu’il n’est pas handicapé, qu’il a des jambes, qu’il peut se lever et venir de lui-même me rejoindre, qu’il n’a pas besoin que je vienne le chercher, que personne n’aime obéir à des ordres, etc.
Il n’en croît rien.
Alors au bout d’un moment l’on se bat et l’on se fait des chatouilles. Mais, au bout d’un moment, il commence à donner des coups de pieds, alors, au bout d’un moment, je lui dis que ce n’est pas possible et que je vais aller me faire un café, alors, au bout d’un moment, il me dit qu’il arrête, mais, au bout d’un moment, il recommence, alors, au bout d’un moment, je me lève et je vais me préparer un café.
Je mélange la fin du café italien, que j’aime bien, avec un peu du café sud-américain, que je n’aime pas et ça donne un café que je n’aime qu’à moitié, mais j’aime encore moins gâcher du café en jetant celui que je n’aime pas.
Je me demande si c’est une philosophie de vie valable. Je réfléchis à ça en faisant griller une tartine, que je mange avec du beurre et du jambon.
Et puis j’ai encore faim, alors j’en prépare une autre. Et puis je mange encore un yoghourt aux mangues avec deux cuillerées de psyllium blond et je bois un café.
Et puis j’écoute la radio. Et c’est l’émission de Finkielkraut. Et il y est question des dégâts que provoque, sur le système cérébral d’un enfant, l’exposition aux écrans. C’est terrible. Ça fait des ravages. Ça fait froid dans le dos.
Et il y est encore question de la complicité des géants de la technologie avec les idéologies d’extrême droite. Et il y est aussi question du danger né de la confiscation de l’éducation par ces idéologues d’extrême droite technologiques.
Et puis je me dis que ça fait un petit moment que je n’entends plus S. hurler. Ni même parler. Ni même bouger. Je me demande s’il s’est rendormi.
Mais non. Il est assis dans son lit et attend que je vienne le chercher. Il me dit qu’il ne bougera pas tant que je ne viens pas le chercher.
Qu’il ne se lèvera plus jamais, tant que je ne viens pas le chercher.
Et je lui dis que ça tombe bien alors, puisque justement je suis venu le chercher.
Alors je le prends dans mes bras mais il me dit qu’il veut aller chercher son Guy. Je lui dit que j’irais chercher son Guy plus tard. Mais il me dit qu’il va aller le chercher lui-même. Et il va le chercher.
Et puis je lui demande ce qu’il veut manger.
« Rien », il me dit.
Je lui demande s’il veut manger un œuf dur avec de la mayonnaise.
Il me dit « oui ».
« Avec une lichette de cheddar », il me dit.
Je lui dit qu’il n’y a pas de cheddar mais qu’il y a du camembert. Alors il est d’accord pour du camembert. Il a rêvé de hot-dogs et voudrait en manger à midi mais pour midi j’ai prévu des travers de porc caramélisés alors nous nous mettons d’accord pour prendre des hot-dogs au goûter.
On regarde la fin de Tarzan, le dessin animé de Walt Disney de 1999 et S. n’est pas content parce que ça ne se finit pas comme il pensait que ça devait se finir. Je lui dis qu’il avait dû voir la deuxième partie ou bien une autre version.
Je ne sais pas trop ce qui le dérangeait à la fin, parce que je me suis levé pour répondre à ma mère, avec qui il faut hurler au téléphone parce qu’elle n’entend pas grand-chose. Alors je m’éloigne, pour éviter de déranger S. avec mes hurlements et aussi parce que tout bruit environnant est susceptible de déranger ma mère. Elle me dit qu’il y a toujours comme un grésillement autour de moi. Alors qu’il n’y a rien et que la réception est parfaite. « Il n’y a qu’avec toi que ça me fait ça », me dit-elle toujours. Comme un fait exprès. Et puis, bon, on discute, on discute et entretemps le film se termine. Donc la fin, qui dérange tellement S., m’a échappé.
Ensuite S. veut peindre. C’est très bien, je lui installe une table de peinture dans sa chambre pendant que je prépare la cuisine. C’est idéal. On peut chacun se concentrer sur ce qu’on a à faire. Lui, de la peinture, moi, de la cuisine. C’est comme ça que c’est le mieux. Quand chacun est concentré sur ce qu’il a à faire.
Alors que je viens de mettre les travers de porc à cuire, R. rentre. On déjeune tous les trois et S. exprime le désir d’aller voir des squelettes à la galerie de paléontologie du Jardin des Plantes. Alors R. réserve des places et on y va après avoir déjeuné. J’ai tout de même le temps de faire un peu de gym et de prendre une douche. On n’est pas aux pièces.
La Gare d’Austerlitz est toujours en travaux.
J’ai toujours connu la gare d’Austerlitz en travaux.
Il y a 35 ans, quand j’y habitais, elle était déjà en travaux et cela n’a pas cessé depuis.
En fait tout le quartier compris entre le pont d’Austerlitz et le boulevard Saint-Marcel est perpétuellement en travaux depuis plus de 30 ans.
Ça ne s’arrête pas. C’est comme une malédiction. Comme un trou dans l’espace-temps.
Il faudrait faire un film là-dessus.
Donc nous traversons les chantiers, les ruines, les démolitions, pour aller du métro au musée. On s’attarde maintenant davantage au rez-de-chaussée.
Pour les serpents.
Il y a une tête de crotale Cascabelle dans du formol. Et un fer-de-lance entier, juste à côté.
J’ai mis un masque, à cause du pollen et je reste sur un banc à l’ombre, pendant que R. et S. se baladent au soleil.
Je reste une petite heure à méditer sur le banc, en me disant que je devrais apprendre un mantra, pour au moins méditer correctement.
Au bout d’une heure, j’en ai un peu marre de méditer alors j’appelle R. pour dire que je rentre, que je suis fatigué, que ma batterie est à plat et que je les attends à la maison.
Puis je rentre.
À 17h50 j’arrive à la maison.
Je me fais un café, j’accroche le linge au sèche-linge et je regarde le 18ème et dernier épisode de la 3ème saison de Twin Peaks. Je ne me souvenais pas du tout que ça se terminait comme ça. Et d’ailleurs, ça ne se termine pas. C’est exactement ce qu’il fallait.