NARBONNE

On s’est installé tous les trois, avec Y. et C., dans un petit deux-pièces au centre de la ville, dans une impasse tranquille, à deux pas de la mairie, du marché et du Palais de Justice. Ici, c’est l’été, vraiment, enfin. On oublie comme c’est tout de suite l’été dans le sud.
Chaleur et indolence fournissent un arrière-plan propice aux méditations et aux retours sur soi. En ce moment, ça passe par la relecture des articles de Serge Daney et ce que ses prédictions émises au début des années 1990 rencontrent – ou pas – comme vérifications aujourd’hui. 
N. et D. sont dans les préparatifs de leur mariage, motif de notre présence ici, et il va y avoir quelque chose comme vingt ou trente enfants. Déjà avec quatre c’est joyeux.
Lecture, somnolence, terrasses de cafés à l’ombre, plage en fin de journée, dîners sur la terrasse de N. et D. avec toute la smala.
Un univers majoritairement féminin: quatre fillettes, trois mamans, une grand-mère et deux papas. J’aime bien.
Cauchemars cette nuit.
La chaleur.
On met des prises anti-moustiques.
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Y. Suis allé commander des gâteaux puis j’ai laissé C. avec les autres filles pour les récupérer en fin d’après-midi, direction la plage.
Le vent est tombé. Peut-être que la mer sera un peu moins froide que ces derniers jours ?

CRÉER UN PARTI DE LA RÉFORME DES INSTITUTIONS

Ce matin, on prend le 47 jusqu’à Place d’Italie, on récupère les lunettes de C. – la petite chez C. – la grande, qui nous présente ses derniers travaux et c’est beau.
On s’extasie juste ce qu’il faut avant d’aller se détendre au Parc de Choisy. 
J’ai le nez qui coule. Rhume des foins interminable.
C. veut des sashimis au saumon, encore.
J’essaye de la persuader d’essayer un petit restau vietnamien ou un thaï ou un cambodgien mais c’est sahimi, sashimi, sashimi…
Alors on finit par trouver un restaurant japonais tenu par des chinois.
Sashimis, brochettes.
On attrape le bus et on arrive vers 13h à la maison.
A. vient faire le ménage pour la dernière fois avant les vacances.
Y. a rendez-vous en lointaine banlieue et va prendre un train.

Avec C., une fois A. partie, on va flamber à la canopée.

On invente une chanson pour l’occasion:

Dans mon canapé
Un avocat nappé
Sous la canopée

Mais avant, pendant que C. regarde des dessins animés débiles avec des licornes hystériques et que j’essaye désespérément de passer le niveau 697 de Candy Crush Soda, je rumine l’idée qu’il n’y a qu’une seule chose à faire: créer un parti politique et aller à la castagne.

Maintenant que la chose est dite, reste à la faire.

Bon, ensuite, ruminant cela et checkant toutes les cinq minutes les commentaires survenant à ce post, nous sommes donc retourné consommer comme des malades avec C. 
Bains moussants parfumés chez Sephora, accessoires et vêtements chez Muji, un coup de clef à la trottinette chez Go Sport

On va encore manger des pâtes sans beurre pendant quinze jours.

Ruines du jour:

Sashimis et brochettes: 29,50 €
Sephora: 15,90 €
Muji: 81,86 €
Chacun ses goûts (glaces): 16,75 €

PRENDRE L’ATTACHE

C’est formidable les notaires.
J’ai mis en relation mon notaire et celui du promoteur immobilier.
Les documents vont circuler. On va pouvoir évaluer, négocier, pinailler, garantir nos intérêts, nos droits…
Je demande à ce qu’on évalue la pertinence de mon intention d’achat. Je demande à ce qu’on me démontre que j’ai raison de vouloir acheter ce local professionnel et je suis prêt à entendre que je me trompe – il est encore temps – mais je veux du solide, de l’argumenté, de l’étayé.
Maintenant, on peut partir pour Narbonne le cœur léger. 

Et d’ailleurs, à ce propos, ce matin j’avais rendez-vous avec I.H., avec qui Life Design prépare un événement en septembre à La Malterie de Lille et, puisqu’elle résidait pour quelques jours dans le deuxième arrondissement, j’avais trouvé ce petit bistrot à brunch du quartier Montorgueil, le Matamata Coffee, 58 rue d’Argoult.
On s’y retrouve à 10h.

C. m’accompagne en rollers.

La veille on avait oublié – et donc perdu – sa trottinette aux caisses de l’UGC Ciné Cité des Halles, en allant voir « L’âge de Glace n°12 ». 
Sur le chemin, nous marchons derrière deux femmes et une petite fille et quelque chose me dit qu’elles vont au même endroit que nous.
Bingo, on les retrouve au café.

J’avais chopé l’occurrence de « Narbonne » dans leurs échanges et tout-à-trac je lance: « vous revenez de Narbonne ? ». S’ensuit une conversation nourrie et la naissance d’une amitié entre les deux fillettes. On prend les coordonnées de J. et de sa maman avec promesse de se revoir.
Pendant ce temps discussion avec I., qui est adorable et en pleine phase avec Life Design. On papote en buvant des cafés et en s’empiffrant de cookies et de cake provençal. 

Éloge de la description. Les hommes livres de Farenheit 451. De l’intérêt d’une démocratie de proximité fondée sur le modèle de la Justice. Des niveaux de responsabilités et d’expertise. De l’horreur de l’identité. Des grands espaces de la campagne. De la croyance en l’enseignement. De l’argent, du temps et de la Liberté. Du professionnalisme en matière d’art et de culture. De la domination comme seul horizon libidinal.

Vers 12h30 on se quitte et, avant de rentrer, on passe chez Go Sport remplacer la trottinette perdue. Par chance, elles sont en solde.
Encore une course chez Franprix et back home.

Steak tartare aller-retour pour C. Deux tranches de gigots et baked-beans pour moi. Y. s’était goinfrée de soupe miso et chipote dans la casserole de haricots.
Café, brève prise de tête immobilière, courriers aux notaires, puis sortie post-prandiale et essais de trottinette. On se prend une glace au yoghourt pour la route.
Quelques tours de fontaine, trois gouttes de pluie, on rentre.

Je reprends les comptes de campagne, parce que le principe de réalité ça a du bon.

Café, gâteaux: 14,60 €
Trottinette: 34,90 €
Courses: 17,50 €
Glaces: 12,10 €
Filé à M.: 2,00 €

OBSTINATION ET DÉSINVOLTURE

Sur cette photo de Thelma et Swann-Louise, dans le jardin de P.M. chez qui nous faisions halte, avec C. au début de nos vacances-éclair (du 11 au 22 juillet).
Séjour exquis, plein d’amitié, de chaleur et de bonnes choses à manger et à boire.
Trop court, parce qu’on doit ensuite passer chez C.M. à Change et que C. est impatiente de « gagner la Nouva », comme elle dit, et de n’en plus bouger, sauf pour aller au lac.

Au réveil il faut vite se rassembler.
Et il y a cette envie de se laisser dégouliner.
Mais il faut se rassembler.
Ne pas se répandre.
Ne pas de déprendre.
Ne pas laisser s’en aller, disparaître les rêves.
Les mots, les images. Les vrais. Les premiers. Les primordiaux.
Retenir, réunir, rassembler.
Dans le creux des mains.
Se concentrer.
Bénéficier du silence.
Passer sur la fatigue, la paresse, l’envie de replonger.

On oublie comme c’est épuisant, la famille.
Passer ces quelques jours à la montagne, entre mère, tante, sœur, cousins, neveux, ça vide l’esprit et on s’emplit le corps de nourriture, d’alcool et de soleil en attendant que ça passe. D’où un long silence.
Mais les enfants sont contents d’être ensemble et c’est tout ce qui compte.
Et c’est l’occasion de relire au hasard des petits bouts de « Liaisons dangereuses », de « Princesse de Clèves » ou de « Lettres Persanes » au bord du lac de Carouge, à Saint Pierre d’Albigny, dont les abords évoquent furieusement les paysages impressionnistes des bords de Marne au XIXe siècle. 

Seule ombre au tableau: pas de pédalos cette année. Le prestataire a démonté sa baraque. C’est moins drôle, moins paradisiaque, mais c’est toujours bien.

Ces livres qui restent dans les bibliothèques des maisons et qu’on n’ouvrirait jamais sans cette torpeur. On les emporte trois fois dans le panier sans y toucher et puis d’un hop on plonge et on ne lâche plus.
Sinon je découvre, en pratiquant les tests futiles qui émaillent Facebook, qu’il y a une manière particulière de conjuguer l’obstination et la désinvolture qui pourrait bien me servir de stratégie. Je garde ça en tâche de fond.
Journées agréables à Paris avec C. Inscription SACEM, visite du Palais de Tokyo, les films de Mika Rottenberg, manger des glaces, aller voir des dessins animés, se balader en trottinette, en rollers. 

Visite du local de Montreuil avec Y. qui fait un esclandre: « tu fais une connerie, tu ne vas pas acheter un truc pareil… ». Je suis furieux et je vais voir « Pires voisins n°2 » pour me remettre. C’est assez efficace, quoique plutôt effrayant s’agissant des évolutions en cours dans la société américaine. Ensuite j’ignore tous les appels et je pars picoler toute la soirée au bord du quai de Seine avec P.G. avant de rentrer méditer le reste de la nuit sur le canapé du salon, dans la fournaise estivale et les clameurs de ce samedi de juillet. 

Le promoteur m’a écrit très inquiet, je lui réponds que j’ai toujours l’intention d’acheter et qu’il ne faut pas tenir compte de la réaction désagréable de Y. Obstination, désinvolture. Ce qui me soutient c’est que C. voit tout de suite le côté joyeux, positif, créatif, du projet. Un atelier, un local partagé, des lopins de terre, une terrasse sur le toit, un hamac bientôt, des instruments de musique et de quoi enregistrer.

IN THE POCKET

On s’était retrouvé à 9h station Pyramides, pour le petit déjeuner avec P.G.
Cette fois, je n’avais pas de sac, rien pour écrire. 
Je devais ensuite assister à 10h30 à l’office funèbre de R.D. à Saint Roch. Je m’étais dit, je ne sais pas pourquoi, pas de sac à dos dans une église. Simplifier la silhouette. Gravité et tristesse de la situation. 
Il ne fallait pas en plus ramener ses petites affaires là-dedans, m’étais-je dit.

C’était intimidant. En bas des marches, H.D. attendait, mais elle ne savait plus quoi ni qui exactement et moi je ne savais pas quoi dire ni quoi faire alors après être resté quelques instants les bras ballants, je gravis les marches, vais embrasser les amis et m’asseoir au troisième rang. 

Les églises c’est toujours étrange.
C’est comme au tribunal. On vous demande de vous lever, de vous asseoir. Il y a des gestes et des mots rituels, qu’on choisit de dire ou de ne pas dire, de faire ou de ne pas faire.
C’est parce qu’il y a tout ce cérémonial que c’est bien. Je veux dire, c’est nécessaire. Il faut y mettre les formes sinon la mort c’est terriblement abrupte et inepte.
Même sans religion, il faut un cérémonial.

Déjà les mecs des pompes funèbres -on dirait les brigades du tigre avec leurs moustaches- ont cette qualité graphique, presque caricaturale. 

Je vois le pauvre U. qui serre les dents. Pour lui, l’église c’est d’une violence terrible. Je sais comme la religion est une chose horrible à ses yeux. Je le comprends. Moi non plus je n’aime pas ça alors je regarde les ors du plafond, les reliefs des alcôves, les fausses perspectives, les vrais et les faux marbres. Les enfants de chœur. L’un des deux est plutôt un adolescent de chœur. On dirait que c’est le chef. On se croirait chez Buñuel. 

Le curé signale que les deux enfants de chœurs c’est en hommage à R., qui fut enfant de chœur lui aussi. Ils sont comme investis d’un rôle. Ils ne chantent pas mais ils tiennent un rôle. C’est de la peinture, du théâtre. Je laisse les trucs de résurrection, de rachat, de pardon et de notre père qui nous juge et qui nous aime me glisser dessus, le nez au plafond. Après, les discours sont magnifiques et émouvants. Surtout celui d’H., qui énumère plein de petites anecdotes de vie, faisant littéralement vivre R. sous nos yeux. 

On se faufile autour du cercueil. J’évite le goupillon. 

Je sors. Je rentre. A pied. Cagnard.

Je mange fissa. Y. appelle. Je réserve une bagnole de location pour les deux semaines à venir, histoire d’emmener C. un peu en vacances.

J’y retourne. 
Père Lachaise. 
Et là, je suis en retard. 

C’était à 14h30 et il est 14h45. 
Je vois des gens, mais je ne connais personne. J’essaye de demander des informations à l’accueil du colombarium mais il y a plein de gens qui pleurent et dont les questions ont l’air plus urgentes que les miennes. Je ne veux pas emmerder H. alors j’envoie un texto à U. pour dire que je vais prendre un café plus loin. Mais U. n’a probablement pas consulté son téléphone. Je vais prendre un café. J’attends 15h30. Je ne vois sortir personne de connaissance.

C’est très étrange. Je me demande si je suis bien là. Si c’est bien aujourd’hui.
Deux cafés et je rentre.

Le soleil tape. Je suis trop habillé. Je m’effondre et je dors une heure.

Je pense à R. qui zappe d’une chaîne à l’autre en disant « s’il y a un mec avec un flingue sur une chaîne, il faut que je tombe sur un mec qui se prend la balle sur une autre ». Qui se réveille la nuit pour demander « tu dors, imbécile ? ». Qui dit « in the pocket » en feignant de glisser quelque chose dans sa poche, qui entre dans les boutiques en déclarant de sa voix d’acteur « Je suis le diaaaable! ».

IN MEDIA RES

Il avait d’abord été question de prendre ce petit-déjeuner à neuf heures au Holy Belly, 19 rue Lucien Sampaix mais, arrivés sur place à l’heure dite, force nous fut de constater que l’endroit se trouvait fermé le mercredi. Nous décidâmes de nous replier vers la rue de Bretagne, après une rapide et infructueuse incartade en direction du canal.

Et finalement, c’est sur la place de la République, dans le vacarme, que nous nous sommes arrêtés.

La statue est maculée de tags et un pédiluve à été ingénieusement pensé pour rafraîchir un été qui, hélas, n’en a pas besoin.

Splendeur institutionnelle du vide. Cette place, plus que toute autre à Paris, incarne et ce vide et cette splendeur, avec force. Parce qu’elle est réellement vide. Et pourtant bruyante, assourdissante au point que l’on y expérimente une particularité sismique de l’espace temps. 

Évidemment, il est hors de question d’y travailler (quoique). Et, puisque l’on s’était donné comme objectif de trouver un endroit calme et hospitalier à l’écriture, une fois avalés cafés croissants et jus de fruits, nous dirigeâmes nos pas vers la rue de Bretagne. 
Quand on a dit quelque chose, il vaut mieux s’y tenir. 

Et là, deux terrasses: l’une ensoleillée, à droite, propice au farniente, l’une à l’ombre, à gauche, invitant au travail. Nous optons pour le soleil, à la terrasse du Sancerre, mais nous replions rapidement à l’intérieur pour écrire (puisqu’aussi bien c’était là notre objectif initial).

Finalement, c’est comme la télé quand nous étions enfants, Facebook. Tout le monde y lit et y voit la même chose. Les mêmes posts, les mêmes news, les mêmes fragments de mémoire. Après une phase de diversification, où chacun allait puiser et ramener à l’écot commun les perles glanées, c’est maintenant le règne de l’algorithme laminaire. 

Et aussi, la remontée de l’expression massive de la bêtise, qui rend insupportable la présence de l’autre, la promiscuité de sa connerie viscérale. Une telle situation porte, paradoxalement, à adhérer à n’importe quoi du moment que ce n’importe quoi mette fin au bruit. Si c’était une stratégie, elle serait impeccable. Mais ce n’est qu’une logique de marché et de concentration.

En marchant, il est question de l’affaiblissement des institutions comme source de l’amplification du bruit de fond. Et de l’impact en retour de ce bruit de fond sur les institutions, qui s’en trouvent encore affaiblies, d’être ainsi piétinées par l’expression aveugle de la bêtise.
Mais tout cela, me dis-je, c’est encore du bruit. Je veux dire, on ne peut pas débarquer là-dedans avec de gros sabots.

Tout cela invite au retrait, à la distance, à la prise d’air, à l’immersion dans la durée.
Tout cela appelle au mouvement vers les cimes, les forêts, les océans, les vallées.