INQUIÉTUDE

Et là, maintenant, à cette heure, je ne sais plus du tout, absolument plus du tout pourquoi j’avais pris cette photo vendredi soir vers 1h04 dans ce bar de l’avenue Parmentier.

Sans doute quelque chose m’avait-il ému, touché, excité, intrigué, séduit, amusé, dans la pose, le regard et l’attitude de cette barmaid ? Sans doute, sans doute, puisqu’il y avait une autre photo d’elle.

Il faut avouer que j’avais trop bu, pensais-je.
Neuf verres, c’est trop, me dis-je.
C’est un de trop, me dis-je encore.
Huit, c’est ma limite, me dis-je, avec quelque expertise.
Passé neuf, je dois partir, m’excuser, respirer, rentrer lentement, faire face à un vertige, une nausée, regretter le dernier verre. 
Mais neuf, c’est mieux que dix ou douze.
Là, je n’en parle même pas et je fais en sorte que cela n’arrive plus.
Déjà, neuf, c’est rare.

À neuf, on se demande quel était le verre de trop.

Le verre de Chardonnay pris en attendant G. au Grand 8 ? 
Le verre de bière pris aux Cannibales ? Le petit shot de vodka qui l’accompagnait ?
Ou bien l’un quelconque des verres de Cairanne, de Beaujolais ou de je ne sais plus trop quoi ?
Et à quel moment les verres se dissociaient-ils de la série ?
Par exemple, les verres bus à midi avec G. ne comptent pas, n’est-ce pas ?
Mais le verre de vin pris en travaillant dans l’après-midi, juste avant de partir, dois-je
l’inclure ?
Alors cela ferait dix, me dis-je.
Mais de 19h à 1h, le temps file comme un élan, me dis-je.

Bref, me dis-je, je m’étais endormi sans même enlever mon pantalon.
Et réveillé à sept heures puis rendormi après avoir éteint la lumière, mais toujours avec mon pantalon. Ce besoin d’une protection. Contre le froid, la fatigue, les chats, la lumière du jour.
Puis neuf heures trente et les chats qui attendent leur biscuit.
Ce sont des chats qui ont droit à un biscuit au réveil. C’est comme ça. Et ils le savent.
Ils revendiquent. Dès cinq heures du matin, souvent, me dis-je.

Puis j’étais aller chercher C. et nous avions zoné toute la journée, parce qu’il faisait froid.
A peine une petite balade au bout de la rue chez Marian Goodman où une photo attire mon attention.
J’irai la photographier, si j’y pense, me dis-je.
Elle représente des gens en train de visiter un musée mais ils sont habillés comme pour une randonnée autour des lacs italiens. Les regards partent dans tous les sens. Vers l’intérieur des âmes, surtout. C’est un très grand format. On dirait un miroir, m’étais-je dit, tout à fait un miroir, avais-je pensé.

Bref, on avait zoné. La honte, me dis-je.
On s’était fait un shampoing anti-poux, parce que recrudescence à l’école.
J’avais fait des plans dans Autocad et C. avait regardé des dessins animés américains débiles dans lesquels des filles rêvent de super-marchés et tombent amoureuses toute les trente secondes du moindre crétin qui sort d’une salle de gym ou d’une cabine d’U.V.
Horreur, effroi.

J’avais préparé des travers de porc caramélisé et du riz japonais.
On s’était couchés avec des livres mais je m’étais endormi aussitôt.
Vers deux heures du matin, gamberge infinie.

Ne parvenant pas à dormir, j’avais attrapé mon télémètre laser et mesuré toutes les pièces de l’appartement.

Je m’étais recouché en me disant qu’il me faut au moins 48m2.
Je m’étais réveillé en me disant que j’allais probablement être assez profondément à découvert pendant les six prochains mois et je calculais mentalement le rythme mathématique de progression de ce découvert alors que C. me parlait de je ne sais quel dessin animé américain.

Ce matin, il fait beau et tiède. Je dépose C. à la danse et je vais au club de gym.
Ensuite, je dépose mes affaires, lance une lessive et file chez E., qui a fait du poulet.
On discute de nos névroses respectives et on organise des stratégies palliatives.
M. vient nous aider.
On refait le cosmos jusque vers 17h, puis les affaires reprennent.

LAST DAYS

Cette nuit, rêve de mort. Rêve de haine. Rêve de violence.
Rêve si violent et si horrible que je ne peux pas le raconter.
Atroce de précision, de violence et d’horreur.
J’en frémis.
J’en parle au chat, longtemps.
J’ai besoin d’en parler au chat.
Je m’en parle. Longuement.

J’écoute Henry Laurens et j’adore la manière dont il termine les phrases.
Retombée abrupte systématique.
Il faut que je regarde ce que cela produit sur son visage. 
Que je connaisse quel type de visage, quel type de corps habite cette voix.
Sitôt cela écrit, j’irai voir sur le site du Collège de France.

Je crois que je suis inquiet. Je crois que j’ai peur. J’ai peur.
J’ai peur d’être inquiet. Tout va bien, me dis-je, tout va bien se passer.
Et si tout ne se passe pas bien, c’est très bien aussi, me dis-je.
C’est la vie, me dis-je.
C’est le métier qui rentre, me dis-je.
Ou qui ne veut pas rentrer, me dis-je.
Et c’est très bien, me redis-je.

Et je suis épuisé. Je veux dormir encore mais il est déjà cinq heures. Il faut se lever.
Epuisé et plein de ce rêve, difficile d’organiser la journée.
Mais je n’ai pas le choix.
Il faut en finir avec ce dossier et ce sera chose faite, juste avant que le train ne s’arrête à
Dunkerque vers 8h20.
Froid glacé.
Un café, un pain aux raisins.

Et hop, l’école.
Life shows no mercy.

On regarde un morceau de Genèse d’un repas de Luc Moullet et l’ouvrière de l’usine de thon de Dakar me fait penser à la reprise du travail aux usines Wonder. Alors on regarde aussi. Puis deux extraits de Une sale histoire d’Eustache, puis quelques vidéos de Chris Burden, puis Conte de Cinéma de Hong Sangsoo. Et cet après-midi Les Musiciens de Gion de Kenji Mizoguchi.
Tout cela me réconcilie avec la vie et on va boire une bière.

Je me ris du froid et me commande un burger infâme.
Et je suis bien calfeutré dans ma cellule.
Et ça va très bien.

UN CONGEE SINON RIEN

Il faut faire tremper le riz la veille.
Le faire cuire 45mn avec une noix de gingembre haché. 600 ml d’eau pour 60g de riz. Feu très doux après deux minutes d’ébullition.
Ajouter des algues, de la sauce soja, des légumes salés et pimentés, de la coriandre, de la cive, des oignons frits, un jaune d’œuf.
Et voilà !

Encore un épisode de Virus dans la boîte.
Montage son et mixage dans la journée, hop!
Et cette fois, c’est totalement fou, effrayant, beau et émouvant.
C’est un portrait de M.Z. en homme qui rit.
Et puis avant, j’avais pratiquement bouclé le dossier CFM, qu’il faut que j’envoie demain direction l’Australie, pour que K.S. le renvoie à qui de droit.
Comme il se doit j’avais souffert dans Autocad.
Souvent, il suffit de dormir dessus.
Seulement, il faut pouvoir.
Il faut avoir le temps.

Mon écharpe me donne des boutons.
Il me faut une écharpe en coton.
Et il fait froid, froid, froid.
J’ai froid, disais-je, pendant que C. répétait « j’ai faim ».
– J’ai froid !
– J’ai faim !
Ensemble.

Hier soir, on avait dîné chez Y. avec les A.
Pot-au-feu.
Fromages.
Trop mangé.
Ce matin, sport. 
J’ai cru avoir perdu ma carte Grand Voyageur et mon Pass Navigo mais ils étaient cachés sous un bonnet de bain. Heureuse issue. Je réserve des trains pour les deux semaines à venir.

Demain, c’est le train à 6h40, encore.
Dunkerque, glagla.
Et je projette « Les musiciens de Gion » de Mizoguchi.
Ca va être beau.
Et froid.
Mais beau.

Bon.

SHAMASE

C’était une journée rondement menée mais tranquillement.
J’avais d’abord déposé C. et L. à l’école et elles avaient été bien mignonnes, avaient rangé les jouets de S., s’étaient habillées dans les temps, avaient pris gentiment leurs Pitch-Paf, avaient fait bonne figure dans le froid crachin matinal. Puis c’était la femme de ménage, les instructions, les aménagements d’horaires. Le dépôt des médicaments. La visite à R.V. Une salle de projection et deux salles de montage. Puis dessins pour le dossier acoustique CFM, puis arrivée de P.G. au studio. Thé et biscuits. On papote entre potes. Arrivée de G.M-S. Enrhumée. Ou pire. La pauvre. Un thé. Enregistrement. Rapide, comme toujours. À seize heures c’est plié. On rentre. Je croise Y. et C. de retour de l’école. On prend un thé. C. fait son piano. Elle progresse.
Je rentre, je ressors.
Courses.
J’invite plein de gens et finalement j’annule tout.
Je me fais des pâtes.
Une bouteille de Minervois.
Et demain, c’est Dunkerque.
Et samedi aussi.
Dimanche, montage, mixage, fin du dossier.
Et lundi, mardi, Dunkerque again.
Je me dis pff.