
Quand j’étais rentré vers 18h30 hier, je me disais déjà que cela avait été une journée bien chargée, avec trois visites de studio en compagnie de E.B. et P.B. puis l’enregistrement de la voix de M. avec D. et G. pour un film sur le plafond peint de la cathédrale de Fréjus, les derniers paquetages et le remplissage d’Augustine pour notre départ, à S. et moi, vers P***.
L’été pour la vie.
Las, alors que nous roulions fièrement dans les rayons du soir, voilà-t-il pas que le moteur d’Augustine se met à toussoter. Le start-stop débraye. Plus de puissance. Me voilà à vingt à l’heure. Je sors de l’autoroute. Où sommes nous ? Rambouillet.
Je me dis « vite, de l’huile ».
Je sais qu’il faut de l’huile. Que ça va relancer le moteur et que tout repartira comme en quarante. Mais, dans les faits, il est presque 21h et tout est fermé.
Il faudrait une station service d’autoroute.
À bout de ressources immédiates, j’appelle l’assistance.
On nous envoie une dépanneuse.
S. a un moment de détresse où il s’imagine qu’on n’atteindra jamais P***. La chatte est stoïque. Pour le moment. On fait diversion. Il y a un Mac Do. Hop, un happy meal pour tromper l’angoisse. J’essaye de recruter parmi l’équipe du fast-food un débrouillard capable d’aller quérir un bidon d’huile. J’ai même un échange sophistiqué avec le manager. Rien.
Le dépanneur arrive. Je parviens à le persuader de tenter le coup auprès de la station de la nationale. On appelle. La boutique est fermée mais devant mes arguments et le chantage affectif (la détresse de mon fils de cinq ans), on nous dit qu’on va se débrouiller pour nous aider.
On charge Augustine sur la dépanneuse. On file à la station. J’achète deux litres d’huile 0W30. J’en verse un dans le réservoir d’huile de la voiture.
Ça redémarre.
D’abord lentement, avec le petit signal d’alerte. Et puis le signal disparaît. Tout va bien. Tout est rentré dans l’ordre. On a vaincu les éléments. On est des guerriers. On est des ninjas.
Le dépanneur me dit: « roulez derrière moi jusqu’à la prochaine sortie, qu’on en ait le cœur net ».
Alors on roule derrière lui et tout va bien. On signe la décharge. On se quitte bons amis dans le couchant.
C’est reparti. Allez, la nuit est encore longue. Hop, on prend l’autoroute. Plus de signal d’alerte. On accélère. Cent dix, cent vingt, cent trente. On est des aventuriers, mec. On est des héros.
Et tout à coup. Plop, plop, plop.
Alerte. Veuillez contrôler votre moteur. On retombe à trente. On est sur l’autoroute en feux de warning. On passe à vingt cinq. Deuxième, première, deuxième, troisième, deuxième, première. On passe à quinze. Je me dis: « on s’arrête, je remets un litre d’huile et on roule jusqu’à la prochaine station service ».
Alors on fait ça. On s’arrête sur la bande d’arrêt d’urgence, tous feux clignotants.
A chaque fois que je vois quelqu’un arrêté au bord de la route sur la bande d’arrêt d’urgence, je me dis que je n’aimerais pas être à leur place et là, j’y suis.
Bon, faut pas traîner. Hop remplir, reboucher, repartir.
Il fait bien nuit maintenant.
On redémarre, mais c’est poussif.
J’y vais mollo. On roule pépère. A quarante, cinquante, soixante, quatre-vingt.
Allez, on va aller jusqu’à la prochaine station à quatre-vingt dix.
Garder les warnings. On est à cinq kilomètres. Quatre kilomètres. Trois.
Ca commence à tousser. Contrôlez votre moteur. On dévale les vitesses. Allez, on y est presque.
On y est.
On s’arrête devant la boutique Shell. Je rappelle l’assistance. Nouvelle dépanneuse. On laisse Augustine au dépôt. Un taxi vient nous chercher et nous emmène à Rambouillet.
Hôtel Mercure. Relais du Château. Quatre étoiles. On s’imagine dans le jacuzzi.
En fait, pas de jacuzzi. Il y a une salle de sport mais elle ferme à 23 heures.
On bricole une litière pour Uranus avec un carton et du scotch. On nous donne des bols pour ses croquettes et son eau. S. est surexcité mais il faut dormir.
Dodo à deux heures du mat.
Réveil à huit. Petit déjeuner royal: œufs brouillés, bacon, saucisses, haricots, fromage blanc et fruits frais, banana bread, crêpes, tartines au jambon.
Un Uber vient nous chercher pour nous emmener près de Chartres où l’on doit récupérer une voiture de location pour poursuivre notre route.
Au moment de partir, on ne retrouve plus Uranus.
Elle est pourtant dans la chambre. La porte est restée fermée. La fenêtre est restée fermée. On n’a pas bougé. On a regardé sous le lit, sous l’armoire, sur l’armoire, dans le frigo, dans des espaces manifestement trop petits pour accueillir un chat, même souple. Rien. On dit à la réceptionniste qu’on a perdu notre chat, qu’on doit aller chercher une voiture, qu’on revient.
« – C’est une femelle ? », elle demande.
« – Oui », je réponds
« – Elle s’appelle comment ? »
« – Uranus »
Elle sourit.
« – On va vous la retrouver, allez chercher votre voiture ».
On ne se fait pas trop de bile.
On se dit qu’ils vont la retrouver. Que c’est un phénomène paranormal en apparence mais qu’il doit y avoir une explication rationnelle.
Pendant qu’on roule, on réalise que le loueur est à quarante cinq minutes de l’hôtel. Donc une heure et demie aller-retour. Ensuite, il faudra aller à Saint-Arnould, au garage, récupérer le contenu, ou au moins une partie du contenu d’Augustine. En chemin l’hôtel appelle. Ils l’ont retrouvée.
Elle était sous le lit (on avait regardé quinze fois sous le lit). Je ne sais pas comment elle s’était cachée. Je ne veux pas savoir.
Du moment qu’elle est retrouvée, tout va bien.
On prend la voiture à Saint-Arnould. Une Renault Captur. Quand S. avait trois ans, il était obsédé par les Renault Captur et les reconnaissait à cent mètres dans une rue la nuit. Aujourd’hui, même le nom ne lui dit rien.
Ça dure un peu des heures. Le type est nonchalant et ponctue son discours par des « yes » extatiques.
À treize heures, on est de retour à l’hôtel. On récupère Uranus et le chargeur de téléphone que j’avais oublié.
Allez, on repart. On a retrouvé la foi. On est tiré des ronces.
On passe au garage. On charge l’essentiel. Je laisse dans la voiture des cartons, les guitares et la basse. On les récupèrera la semaine prochaine.
On est partis. Smiling Cobra. Rattlesnake. On est des aventuriers. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.