UNE CONTRÉE D’OUTRE-RÈGNE

J’ai rêvé d’une contrée où le critère essentiel pour évaluer une œuvre d’art était la singularité des sentiments, des perceptions et des idées qu’elle dépeint. Plus est réduit le nombre de personnes capable de s’y reconnaître, plus l’œuvre est réussie. Le chef d’œuvre est atteint lorsque personne ne reconnaît dans ces sentiments, ces idées, ces perceptions, quelque chose qui se rapproche d’une expérience vécue. Dans ce système, l’universalité correspond évidemment à l’échec esthétique absolu.

Dans ce rêve, il existait encore des territoires à cartographier et des civilisations à découvrir, mais il fallait les cacher pour les préserver.

Dans cette contrée, alors que je visitais une exposition, je faisais part à l’artiste, qui était présente, des réflexions que m’inspiraient ses œuvres (je ne saurais dire en quoi elles consistaient exactement). Elle me regarda horrifiée, au bord des larmes.
– Vous croyez qu’il y a d’autres personnes qui pensent comme ça ?
– Bien sûr, répondis-je.
C’est là qu’une anthropologue se pencha vers moi pour m’expliquer leur système esthétique et me faire réaliser la brutalité de ma remarque.

Je me souviens encore de ce bout de dialogue:
– Je t’aime.
– Oui, moi aussi… Tout le monde s’aime.
Et le sentiment d’une platitude infinie.

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