
Il ne s’agit jamais, me disais-je, d’expliquer ni de développer. Il ne s’agit encore et toujours que de partir d’un certain point sans savoir exactement où nous mèneront nos pas. Si ce sont des pas. Tout dépend du véhicule.
Hier matin, en attendant l’heure du rendez-vous pris chez le médecin, mes pas m’avait menés à Romainville, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire, il me semble. Mais j’avais oublié de parler de la rencontre d’un très beau travail de plasticien: celui de Vincent Mauger, à la galerie 22,48 m2, dans le cadre d’une exposition personnelle intitulée Structures et décadences. Je me dis que voilà un artiste que j’aimerais bien rencontrer et éventuellement inviter à l’école des beaux-arts de Nantes. Ses sculptures-installations à partir de briques alvéolées et de parpaings, dont les alvéoles sont – ou non – comblées par de l’enduit, ces formes curieuses, simples et hiératiques, m’ont conduit vers une impression jet d’encre sous verre représentant un fragment de papier millimétré dont les lignes du bas s’effilochent, comme d’une trame de tissu.
Ensuite j’étais allé voir quelques pièces de G.B. Jones à la galerie Air de Paris et j’avais déréglé le moniteur en voulant monter le son. Avec l’aide de plusieurs opératrices – qu’elles soient remerciées pour leur temps – nous avons pu revenir à l’image (et elles ont planqué la télécommande). À la vision de ces fragments de vidéos entre punk et camp, je me suis senti seul sur mon banc. J’ai senti cet espace seul dans l’espace. J’ai senti la solitude même de l’espace. Le FRAC île de France était fermé. Je n’ai pas tenté une visite éclair de la Fondation Fiminco, qui n’y invite guère. Deux artistes résidentes grelottaient à la terrasse en buvant des cafés froids. J’ai dirigé mes pas vers la station Bobigny. Que pouvais-je faire d’autre ?
Le médecin m’a prescrit, selon mes instructions, des antibiotiques contre la sinusite que je m’étais moi-même diagnostiquée et a renouvelé mon ordonnance chronique de Valaciclovir, la dernière – de 2023 – commençant à dater. J’étais ensuite aller manger avec Doriane Wednesday une soupe aux raviolis et une salade de concombres-cacahuètes, contenant 95% de concombre, le tout accompagné d’une Tsingtao. On papote, le temps que ferme le restaurant, puis Doriane se rend à sa répétition de piano pendant que je rentre à Jourdain m’affaler sur le canapé devant la fin de la deuxième saison de The Rehearsal.
Rosita Velasquez et une amie de longue date débarquent et constatent mon coma télévisuel. Célimène Bonaventure rentre sur ces entrefaites et prépare des crêpes aux jeunes femmes affamés, tandis que je poursuis mon affalement, bénéficiant d’une tisane détox.
Pas-Glop finit par descendre les escaliers vers 18h45. Avec Célimène, on se roule dans des plaids sur le canapé pour regarder ensemble la dernière livraison des Fantastic Four. Je n’arrive pas à me raccorder à quoi que ce soit dans le film, à part la figure tragique de Galactus, sorte de Chronos à la Marvel, qui ne peut que dévorer éternellement tout ce qui se présente. L’inextinguible faim. Une autre version du supplice de Tantale, me suis-je dit.
À 21h30 nous étions tous au lit. J’ai fini par comprendre comment régler le radiateur, qu’il fallait faire passer du mode « Programme » au mode « Basique ». Ensuite, tout allait de soi.
