
Deux jours ici, dont la raison initiale – professionnelle – fut annulée et déplacée. Sine die, pour l’instant, mais il faudra bien qu’elle advienne, cette séance d’enregistrement de voix. Nous verrons.
Deux jours de farniente, donc. Deux jours de contemplation. Deux jours de retrouvailles. Hier, dans l’après-midi, un café avec Cy., que je raccompagne chez lui, au Palais Royal. Puis dîner avec Ci (je bois un thé vert, mange sa salade de chou et un peu de son bol de riz). Ensuite, rentré tôt rue des Rigoles, où l’on regarde un navet avec Liam Neeson et Julianne Moore. Un truc qui se passe dans un avion. Non Stop, ça s’appelle. On joue au jeu des 18 erreurs en analysant rétrospectivement les failles abyssales du scénario.
Je me disais, hier, en marchant de Jourdain à Rambuteau qu’il y eut un temps, pas si lointain – mettons il y a vingt ans – un temps où je m’asseyais à une terrasse, n’importe quelle terrasse parisienne, avec la certitude de voir passer dans le quart d’heure qui suivrait au moins une personne de connaissance. Perspective d’un échange, d’une conversation, d’une promenade, d’un déjeuner, d’une aventure, d’une fête, d’un travail, etc. La terrasse comme horizon d’attente flottante, donc.
Aujourd’hui je m’assieds – quand je m’assieds – c’est-à-dire le moins souvent possible et si possible pas du tout, mais quand je m’assieds, pour consommer un café hors de prix, je le fais avec la certitude que je ne vais voir passer personne, ni dans le quart d’heure, ni même dans l’heure qui suit, pour autant que je reste une heure, ce qui n’arrive jamais.
En principe, il vaut mieux ne pas s’asseoir et continuer de marcher. On marche beaucoup dans la ville. 16000 pas hier, sans forcer du tout. Sans même y penser. Rencontré personne. Les galeries sont fermées. Elles sont fermées le dimanche et le lundi. Rien au cinéma qui ne me donne l’envie de m’y arrêter. Marcher, donc, encore et toujours. Il fait beau. C’est un reste d’été entre la fraîcheur du matin et la fraîcheur de la nuit. S’arrêter de temps en temps, parce qu’il faut bien se poser de temps en temps. Vider sa vessie. Remplir sa vessie. Repartir. Etc.
Je peux marcher des heures dans cette ville sans rencontrer personne de connaissance. Je ne connais plus personne. Ce n’est plus une ville pour moi, plus un lieu pour moi. Je croise sans doute plein de gens qui s’attendent à rencontrer une personne de connaissance – et qui d’ailleurs en rencontrent – mais moi, je peux être tout à fait certain que cela ne m’arrivera pas et que je en rencontrerai personne.
Cela me donne un sentiment d’étrangeté, d’irréalité. Je me sens transparent, impalpable. Il ne faudrait pas que je traîne trop longtemps ici. Pas que j’y fasse de vieux os.
Avec Cy, d’abord, puis avec P., on se lamente sur l’état du monde. On se lamente de voir tous les chefs d’états européens s’asseoir à la table de cet immonde porc et applaudir ses paroles et en redemander. On se lamente de constater qu’il ne peuvent pas faire autrement. Qu’ils sont suspendus. Que nous sommes suspendus. On se lamente de l’état de collaboration dans lequel nous nous trouvons, de fait, réduits. On s’attend à l’invasion imminente.
Comment communiquer du courage et de la confiance ? Il faut. C’est ce qu’on se dit au petit-déjeuner, mécontents de s’être laissés aller aux lamentations la veille au soir. Pas se lamenter devant les enfants. Communiquer de l’espoir, du courage, de la combativité. Affronter le gros porc. Les gros porcs. Combattre, s’organiser, s’armer. S’armer de courage et d’espoir.
Ce n’est pas gentil pour les porcs qui sont des animaux sensibles, me dis-je. Ce n’est pas un gros porc, c’est une saleté d’humain. Une saloperie d’humain. Un déchet humain. Une épave humaine. Il ne faut pas dire du mal des cochons, qui sont des êtres estimables, me dis-je.
J’ai de la compassion pour l’assassin de Charles Kirk, me dis-je. C’est un assassinat qui part d’une bonne intention, me dis-je, même si un assassinat n’est jamais une bonne idée. C’est un assassinat qui débarrasse la planète d’un être abject, même si c’est un être humain, après-tout.
Mais, en fin de compte, avant d’être un acte que la morale réprouve, cet assassinat est une erreur stratégique, comme le fait remarquer P. Elle donne l’avantage à l’ennemi. L’ennemi qui s’en repaît et s’en délecte et se vautre dans cette erreur stratégique. N’empêche que j’éprouve de la compassion à l’égard de Tyle Robinson.
Et mon héroïne du jour c’est cette juge brésilienne qu’Ubu-roi voue aux gémonies et s’acharne à punir par tous les moyens possible. Et Lula est un héros aussi. Il n’y a pas de héros européen, dois-je me lamenter. Parce qu’il n’y a pas d’Europe politique et pas d’Europe militaire, dois-je me lamenter. Alors ? Allons nous vers l’Europe ? En avons-nous les moyens ? Le désir ?
Il ne faut pas que je traîne par ici.








