
GOOD DAY SUNSHINE
L’homme qui n’a pas de nom ouvre les yeux et se souvient du rêve chinois, puis il voit qu’il y a du soleil et se dit que c’est une belle journée.
Rien ne le retient au lit ni ne l’appelle dehors. On peut véritablement dire qu’il prend la décision de se lever et il n’aime rien tant qu’une décision souveraine prise de bon matin.
Mais avant de la mettre à exécution, il se demande d’abord s’il va bien ou s’il se trouve souffrant. Ne pouvant départager, il se dit qu’il se trouve dans un état intermédiaire entre la pleine santé et la grande maladie et se dit que cet état lui convient, après tout. A-t-il le souvenir de s’être un jour éveillé en pleine santé ? Sans doute, mais, mettant en doute la réalité de la chose et l’exactitude du souvenir, tant nous sommes portés à enjoliver ce qui est passé, il se dit que du moment qu’il ne peut nommer les maux dont il souffre – car l’on souffre toujours un peu au réveil, même infiniment peu – alors autant appeler cela la bonne santé.
Le rêve lui a remis en mémoire que – dans les temps anciens qui s’étendent du XVIIe siècle avant notre ère à la fin de l’ancien régime – chaque journée de l’empereur de Chine était consignée simultanément par deux scribes dans deux mains courantes parallèles, dont une synthèse était ensuite reportée dans un journal, le véritable journal de l’empereur, qui ne pourrait être ouvert avant l’avènement de la prochaine dynastie.
Mais, c’est encore pire, se souvient-il à présent, se remémorant les détails d’un texte lu quelques temps auparavant, car ledit journal une fois ouvert ne pourrait faire l’objet d’une diffusion aux historiens qu’à l’avènement de la dynastie suivante et certaines dynasties, comme celle des Shang, pouvaient durer plus de dix siècles, même si celle des Zhou de l’Est avait duré moins longtemps, beaucoup moins longtemps.
L’homme qui n’a pas de nom se sachant le sujet d’un récit, il décide qu’il est temps tout de même de se donner un nom et donc il se donne un nom. Il se donne pour nom le mot qui, dans sa langue elle-même sans nom, désigne « celui qui n’a pas de nom » et d’une manière générale tout être ou chose innommé. Ainsi, il se donne pour nom « celui qui n’a pas de nom » et ainsi nous pouvons sans erreur continuer à l’appeler « l’homme qui n’a pas de nom ».
Et s’étant donné un nom, tout en se remémorant le rêve chinois, constatant que le soleil brille déjà haut dans le ciel, il se dit en lui même:
« L’heure n’est pas au regards tournés vers les cimes,
L’heure est au balayage des eaux du lac tranquille. »
Caressant cette pensée, il descend les escaliers pour prendre son petit-déjeuner.
Tandis que coule lentement le café dans la cafetière dont il se dit chaque matin qu’il faudrait la détartrer tant est longue la préparation du café, il se souvient que les historiens chinois des temps anciens se trouvaient dans l’obligation de faire coïncider les mouvements dynastiques avec les grands mouvements cosmiques, l’homme étant à l’imitation du ciel et de la terre. Et pour que cette coïncidence se réalise, il fallait nécessairement que les mouvements successif des cinq vertus épousassent soit le mouvement des victoires mutuelles des cinq éléments les uns sur les autres, soit le mouvements des engendrements mutuels des cinq éléments les uns par les autres.
Il y avait donc deux écoles: l’école des engendrements et l’école des victoires. L’existence de ces deux thèses incompatibles, voilà qui créait une véritable difficulté, car du choix de l’une ou l’autre dépendaient les vertus que l’on devait prêter aux dynasties en raison des mouvements cosmiques dont chacune d’entre elles se trouvait contemporaine et médium. Car il faut véritablement considérer l’empereur d’abord et avant tout comme un corps céleste.
Alors qu’il pense aux mouvements cosmiques et tandis que gargouille interminablement l’eau dans la cafetière entartrée, tandis que le soleil décidément s’élève dans le ciel, il sort un petit carnet du tiroir de la table de la cuisine et inscrit les lignes suivantes, à la suite d’une liste de courses à faire:
« L’heure n’est pas à l’imitation virile de nos aînés,
L’heure est à l’oubli du vent. »
Il pose le stylo devant lui sur la table et prend un temps pour réfléchir à ce qu’il vient d’écrire.
Il se souvient des cinq éléments cosmiques – dans l’ordre bois, feu, terre, métal, eau, mais il ne peut se souvenir des cinq vertus correspondantes dans l’ordre, ni même dans le désordre. Il se souvient de la première vertu, celle du bois, le sens d’humanité et de celle de l’eau, le sens de la raison, car un horoscope lui avait appris qu’il était nanti de ces deux vertus, ou plus exactement porté à privilégier les éléments bois et terre et à devoir se méfier des éléments métal et feu, qui lui étaient néfastes, la terre s’avérant neutre pour lui.
L’homme sans nom entre dans la rêverie du bois et de l’eau.
Le bois et l’eau, lui avait-on appris, favorisaient les carrières intellectuelles, celle de professeur par exemple et il était justement professeur à l’Institut National de Chimie, et même, depuis quelques années, promu au rang de titulaire de la chaire des études thermodynamiques de cette honorable institution. Il lui avait été recommandé, en revanche, se tenir à l’écart des carrières industrielles, commerciales et des métiers de la construction, domaines du feu et du métal et, sans forcer sa nature, il s’en était tenu à l’écart.
Pour sa gouverne il va dans la bibliothèque quérir « La pensée en Chine aujourd’hui », ouvrage réalisé sous la direction d’Anne Cheng, dans la collection Folio essais et y lit à la page 59 la correspondance entre éléments et vertus: « (…) cinq principes de la moralité – le sens de l’humanité, le sens du devoir, le sens des rites, le sens de la raison et le sens de la loyauté – [reliés] aux cinq agents cosmiques primordiaux – le bois, le feu, le métal, l’eau et la terre.(…) ».
En buvant son café, qui avait finit par passer comme il se doit, il s’interroge sur le sens du devoir, le sens des rites et le sens de la loyauté. Le sens des rites lui semble le plus étranger et pourtant boire son café le matin n’était-ce pas là un rite ? Pouvait-on parler de rite, en l’espèce ? Un rituel, plutôt, se dit-il. J’ai le sens du rituel, finit-il par conclure. Un rite, c’était tout de suite quelque chose de guerrier, de sanglant et d’un ordre collectif, se dit-il, un rituel c’était quelque chose de simple, de quotidien et de personnel: « mon café est donc bien de l’ordre du rituel ». Buveur de thé, il aurait peut-être parlé d’un rite du thé, mais buveur de café, il en allait tout différemment.
Et il boit un trait de café brûlant, allume une cigarette et se perd dans la contemplation de la fumée, dense dans le rai de lumière où flottent aussi des poussières.
Contemplant fumée et poussières dans le soleil, il sent venir une nouvelle phrase, qu’il s’empresse de noter à la suite de la première dans le petit carnet.
« L’heure n’est pas à la pierre selon l’ordre, sous le ciel,
L’heure est aux éclats de rire des enfants. »
Et tout en traçant ces lignes, il se prend à penser de nouveau au métal.
Il faut arrêter de fumer, se dit-il, car l’horoscope était formel: trop de métal dans les poumons.
De là, mes maux sans nom, se dit-il.
Si je me débarrassais définitivement de tout ce métal dans mes poumons, se dit-il, peut-être m’éveillerai-je encore quelques années dans un état de parfaite santé ? Et puis ce n’est pas tout, se dit-il, en éliminant un besoin, en éliminant le besoin de nicotine, il éliminerait par suite d’autres besoins – celui du café, par exemple – et avancerait ainsi plus avant dans la voie du bois et de l’eau.
Mais, se ravisa-t-il immédiatement, renoncer au café et à la cigarette n’est-ce pas perdre en humanité ?
Ce café et cette cigarette ne me raccordent-ils pas à mes semblables, mes frères ? En y renonçant, ne suis-je pas en train de me fourvoyer et d’adopter une attitude hautaine à l’égard de la vie elle-même aux profits des chimères irréelles? Ne suis-je pas en train de succomber au charisme de l’ascèse ?
Il se lève et va vers la fenêtre.
Mais de quel genre de fenêtre?
Tout regard sur le Monde contient le Monde tout entier, tout fragment suppose la totalité. Il était au Monde et cela nous convenait mais soudain il devient nécessaire de préciser. Il devient utile d’apporter quelques informations.
On imagine une maison ou un appartement à plusieurs étages.
Ou bien – c’est une décision que je prends à l’instant même parce qu’il m’appartient de la prendre, quoique j’aurais pu la laisser ouverte à l’imagination – il possédait, dans un même immeuble, deux appartements, séparés entre eux par un étages, deux volées de marches et un entresol et donc, formellement, deux escaliers. En haut, la chambre, le bureau, le cabinet de toilette, les livres, documents et instruments nécessaires à son étude. En bas, la cuisine, le salon et d’autres livres nécessaires à son agrément.
C’était dans ce salon qu’il était aller quérir le livre tout à l’heure et il le tenait toujours à la main.
L’immeuble se situe dans une rue tranquille à la périphérie d’une petite ville sans nom de ce pays sans nom.
Et c’est donc sur cette rue tranquille que donne la fenêtre vers laquelle il s’était dirigé, après s’être levé.
Cette fenêtre par laquelle entrait les rayons du soleil dans lesquels dansaient poussières et fumée.
Contemplant la rue paisible, totalement inconscient du fait qu’il tient encore à la main le livre, il forme en lui-même une nouvelle phrase, se promettant de la noter aussitôt dans le petit carnet, toujours posé sur la table:
« L’heure n’est pas aux fronts larges et sévères,
L’heure est aux courbes déliées. »
Il se demande ce qui le raccorde au soleil, au rêve chinois et quelle pouvait être la loi secrète qui commandait aux enchaînement des phrases. Il se souvient qu’une telle loi existait au cœur de son rêve. Il se souvient que cette loi empruntait, semblablement à la représentation traditionnelle de l’échelle temporelle historique, la forme d’une spirale centrifuge aux marquages rythmiques signalés d’un caractère chinois.
Il se souvient d’avoir ressenti un mélange de plaisir et de culpabilité en manipulant cette loi qui lui donnait accès à des blocs de sens formés pour lui, pour lui seulement et ne faisant sens que par lui, pour lui et en lui.
La rue tranquille n’est pas si tranquille si on l’examine avec attention. Des êtres s’y agitent avec une infinie lenteur et un regard patient y eût décelé plus que du mouvement. C’est de ce genre de regard patient dont se sent aujourd’hui capable l’homme sans nom, dans le soleil, tandis que le soleil passe d’une partie du ciel à l’autre, traversant bientôt la pièce et projetant les ombres dans le sens inverse, avec une rapidité surprenante.
« L’heure n’est pas à la vaste campagne sous les orages,
L’heure est aux gestes furtifs et aux scintillements. »
Les intervalles, en réalité de plus en plus longs, sont perçus par lui comme de plus en plus courts. C’est ce dont le jeu de la lumière, le mouvement de la rue, sa propre immobilité l’a progressivement rendu conscient. Cela ne va pas vers la réalisation d’un récit ou d’une parabole utilisable par autrui, mais va pour lui vers plus de sens.
« L’heure n’est pas à la rigoureuse profondeur,
L’heure est à la douce légèreté. »
Bientôt il n’y aura plus la perception d’un intervalle, la durée se sera comme volatilisée. Bientôt il n’y aura même plus communication de cet état à un tiers et l’on sera comme brusquement ramené au blanc, à la lumière, comme avalé par le soleil.
« L’heure n’est pas à la l’offrande du sang dans le soleil,
L’heure est à la progression lente sous les nuées. »
Bientôt, il y aura rencontre totale et cosmique. Bientôt l’on saura s’il convenait de privilégier les engendrements ou les victoires. Bientôt il y aura un grand sourire suspendu dans la lumière.
La bouche s’ouvre, se ferme. Les yeux s’ouvrent, se ferment. L’air entre, sort. La lumière.
JE REPRENDS

LOVE YOU TO
Le rideau est tiré. On a tiré sur le rideau. J’ai tiré le rideau.
On dit le rideau, tu dis le rideau mais c’est d’un voile qu’il s’agit. À peine déposé, à peine jeté.
Il ne pèse pour ainsi dire rien; il tourne. Comme l’on dit d’une robe. Comme, princesse, tu faisais tourner les tiennes. J’ai tiré comme sur le ruban d’une toupie et ce n’est pas le voile qui s’est alors mis à tourner mais le monde entier, autour de ton corps, qui s’est enroulé, déroulé, enroulé, déroulé.
Je reprends. Comme toujours tu me dis: « reprends » et je reprends. Mais cela ne te suffit pas.
Il faut que je dise « je reprends » et alors tu ris, c’est une cascade de grelots qui m’étourdit, tu ris et tu m’interromps et tu me dis: « reprends » et je reprends.
Mais cela ne te suffit pas et il faut que je dise « je reprends ».
Alors je dis « je reprends » et cela déclenche la cascade de grelots et alors tu lèves la main très haut et tu tournes autour de moi (ou est-ce moi qui tourne ?) et tu dis « reprends ».
Je reprends.
J’ai oublié de dire le souffle initial, un léger balancement dans le vent, un grésillement, transitoire. Un grésil de lumière. Passage, transition, avant formation du voile par sublimation des grains de lumière.
La lumière précipite.
On parle d’un rideau parce qu’il me faut tirer dessus de toutes mes forces avant qu’il ne s’évapore. Tirer de la masse quasi nulle de particules presque immatérielles la force mécanique nécessaire à la rotation du monde.
Et déjà tu t’apprêtes à dire « reprends » alors que je n’en suis qu’à prendre prise sur le rideau a-demi évaporé. Cela s’éclaire. L’enchaînement des forces devient lisibles à mesure que nous comprenons – que je comprends – que tout cela est simultané, de tout temps.
On ne comprend l’enchaînement qu’en posant qu’il n’y a pas d’enchaînement, que tout arrive en même temps, que tout est arrivé, arrivera toujours en même temps. Je reprends parce que je ne puis que reprendre et cela te fait rire. Je ris et m’inquiète de ce rire.Toi, tu ne t’inquiètes pas. Tu ris. Je ris et je m’inquiète. Est-ce la rotation qui éloigne de toi l’inquiétude ? Ne suis-je pas, moi-même, pourtant, pris dans cette rotation ?
Moi aussi, je lève haut la main. Je dis: « je reprends » et je ris. Tu me dis: « reprends » et je reprends.
Tout se met à tourner et tout s’arrête de tourner exactement au même instant. Mais il n’y a pas d’instant. Il n’y a pas non plus de durée et il n’y a pas d’étendue. Tu ris de ma naïve découverte dont tu es toute pétrie, avec laquelle tu ne fais qu’une. Tu es donc ma naïve découverte et tu ris. Et ma naïve découverte se découvre dans ce rire. Les temps sont rebattus, redistribués, cela s’éclaire, oui, cela tourne rond.
Et je ne fais qu’un avec ma naïve découverte et je ne fais qu’un avec le rire que provoque la découverte de ma découverte. Et pourtant, une inquiétude. Le voile est fait d’une inquiétude. Ou, plus précisément le voile est agité d’une inquiétude. L’inquiétude est le principe moteur du voile (du rideau). L’inquiétude est ce qui se trouve pris entre le grésil et son évaporation. Elle est l’évaporation et elle est le grésil (de lumière). Mais elle est aussi le rire, la cascade, les grelots.
Elle est conscience que tout est présent sans que tout ne puisse s’embrasser d’un regard. Seuls, nous ne sommes pas seuls. Il n’y a pas de centre, puisque tout est centre et que donc rien n’est centre. Seuls repères: le voile, le rire, la rotation du monde, l’inquiétude.
Je reprends. Sans mon inquiétude, il ne pourrait y avoir ton rire. Mon inquiétude se substitue à ton rire qui se substitue à mon inquiétude.
Je n’avais pas prévu une chose cependant: l’accélération. Cela accélère, cela procède d’une accélération continue. Or, cette accélération, comme le reste, n’a pas de début, n’a pas de fin, doit donc pour cela, comme une spirale, accélérer tout en décélérant mais je ne perçois jamais que l’accélération, pas la décélération. Ou bien, la décélération est-elle le point aveugle que recouvre l’inquiétude ? Est-elle aussi ce qui se dissipe à mesure que le rideau (le voile) se dé-constitue et se reconstitue ? Est-elle ce qui se défait dans ton rire, ce qui choit dans la cascade des grelots (qui pourtant, également, logiquement, comme la main, s’élève) ? Et si la main s’élève quand retombe-t-elle ? car, pas plus que je ne ressens l’accélération, je ne vois la main retomber. Toujours, elle s’élève, toujours le rythme s’accélère. Il faudrait dire comment se marque le rythme. De quelle pulsation. La vibration du rire dans l’air glacé de lumière. La vibration du rire, la fréquence fondamentale et tous les harmoniques de ce rire sont un sous-multiple inverse entier rationnel de la longueur d’onde des rayons de lumière. Le rire est l’exacte réplique du mouvement des photons et il s’égrène et se reconstitue comme le voile (le rideau) s’évapore en apparaissant tandis que je tire et que tu me dis, en riant: « reprends ».
Je reprends. Je dis « je reprends » et je ne m’arrête pas de dire « je reprends » ceteris paribus. Mais rien ne change et tout en reprenant je cesse de reprendre et m’apprête à reprendre. Le rire tout en s’éteignant s’allume et le rideau (le voile) tout en s’évaporant commence à apparaître. Tout commence et tout finit mais de cette fin nous ne percevons que le commencement, de ce commencement que sa fin et cela sans pouvoir tout embrasser d’un seul regard, car nous ne sommes pas seuls tout en nous trouvant pourtant comme isolés. Tu ris et tu sembles comme dans une distance et pourtant nous nous touchons et ne faisons qu’un. Nous nous touchons et pourtant un voile est tiré, que je tire et ce voile te découvre à moi et cette découverte (naïve) provoque ton rire qui suspend mon geste et alors tu me dis: « reprends » et je reprends mais cela ne te suffit pas.
Puis, lumière, photons nous sommes et nous sommes le rire et nous sommes le voile et nous sommes l’accélération et nous sommes le monde qui tourne et nous sommes le centre et nous sommes la main qui se lève et nous sommes la découverte naïve et nous sommes le rythme et nous sommes devenus et tu dis « reprends » et c’est moi qui dis « reprends » et c’est moi qui rit et c’est moi qui lève la main et c’est toi qui, inquiète, dit: « je reprends ». Mais cela ne me suffit pas. Je reprends.
Cela pourrait m’inquiéter, nous inquiéter, t’inquiéter mais aussi cela ne dure pas, le voile s’écarte, s’évapore, se dissout, cela a tourné, s’est accéléré, les temps ont été redistribués et il nous est apparu que tout cela avait lieu sans avoir lieu, dans une durée qui n’est pas au temps. Dans une étendue n’est pas à l’espace. Cette découverte naïve, qui te fait rire n’a pas arrêté le temps, n’a pas annulé l’étendue, n’a pas rendu possible que tout soit là, que tout arrive au même moment et le temps de nouveau a eu lieu et le lieu de nouveau s’est repositionné dans une étendue. Tu as levé la main très haut et la main est retombée. Tu m’a dis: « reprends » et j’ai repris mais maintenant je cesse de reprendre et tu ne ris pas. Maintenant je repose le voile. Le rideau retombe. La main retombe. La rotation achève son dernier cycle avant de repartir plus loin depuis un autre centre. C’est le monde qui reprend. Ce sont les particules de lumière qui se conglomèrent et s’affaissent en un lourd rideau. Le voile du monde s’étend sans bruit sous nos pieds et nous nous embrassons dans une douce lumière en sachant qu’il y aura une nuit, qu’il y aura un matin. Et si tu me dis: « reprends », je reprends le voile et je dis: « je reprends » mais cela ne te suffit pas. Cela ne peut te suffire et rien ne peut suffire et c’est pourquoi il faut laisser fuir l’inquiétude et rester blottis, serrés, dans l’étendue, dans le temps, roulés, déroulés, serrés, riants.