BIOPARC

Quand on se dit qu’on tient un post formidable, c’est là qu’il faut se méfier, me disais-je en mangeant des cacahuètes, ce qui, en soi, n’était pas une bonne nouvelle. En principe, je jeûne le soir et ce soir – il y a des soirs régressifs – c’était cacahuètes, un peu de gaspacho, une fin de terrine et pas mal de verres de vin. Chenin blanc, Anjou rouge. Et s’il était resté une goutte de Glenlivet je ne jure pas que je ne m’en serais pas servi un petit verre on the rocks. Soirée régressive, donc. Avant l’ascèse, cela va sans dire.

L’ascèse, dès demain, me disais-je en grignotant mes cacahuètes. Et hop, un autre verre de vin, en prévision de l’ascèse. Toujours ça de pris, me disais-je. Un dernier verre et l’ascèse, me dis-je. L’ascèse tout droit, tout bonnement.

Nous étions allé passer quelques heures avec l’anaconda vert du zoo Bioparc de Doué-la-Fontaine. On ne s’entoure jamais suffisamment de reptiles, m’étais-je dit. Les reptiles sont des compagnons formidables, avais-je pensé. Et nous avions filmé cet anaconda – pas très grand, à peine trois mètres et quelques – inhabituellement mobile et alerte, sans doute parce qu’en fin de mue.

Nous allions de l’anaconda aux crocodiles nains, des crocodiles nains aux pythons royaux, mâles et femelles, avec leurs petits, puis à l’anaconda de nouveau. S. étalait un peu sa science; m’étais-je dit. C’en était embarrassant. Je m’étais éloigné. J’étais sorti du vivarium. En bordure d’Okapi. Okapi curieusement invisible aujourd’hui. Manifestement absent.

R. a installé un panneau dans la cuisine avec un planning général et un emploi du temps détaillé sur deux semaines. Si on arrive à tenir ce truc, me dis-je, on sera des dieux de la logistique. On ne manquera plus une livraison de fioul, plus un rendez-vous chez le vétérinaire, plus un passage Chronopost. Ce sera comme… Je ne sais pas. Comme une sorte de perfection faite planning.

Il faut que je réponde à Ci, qui m’a répondu. J’hésite entre spontanéité, au risque du malentendu, ou diplomatie, au risque de l’ennui.

Spontanéité, me dis-je. Au risque du malentendu, me dis-je. Le malentendu, c’est formidable, me dis-je.

Et, en répondant, je repense à Mi, qui m’appelle toujours quand elle va mal, quand elle est au bord du gouffre, pour se plaindre. En général le soir. Toujours le soir. Certainement après quelques whiskies. C’est une plainte qui ne souffre aucun commentaire, finalement. Une plainte qu’il faut prendre ou laisser en tant que telle. Qu’il faut accompagner. Encourager.

Moi, je n’ai pas la patience en général. J’essaye d’argumenter, de temporiser, de tempérer. Ca l’énerve, la fout en boule, la désespère, l’enfonce au fond du fond du trou. Elle me dit alors qu’elle n’aurait pas dû appeler. Je lui dit que ça ira mieux demain. Demain, elle dit. Demain, elle fulmine et elle raccroche, courroucée.

Le lendemain, je rappelle. Ca va mieux, bien sûr, mais il y a un truc qui ne va pas: ce bruit sur ma ligne. Toujours ce bruit sur ma ligne. Je ne sais pas ce que c’est. D’où ça vient. Il faut que tu changes d’endroit, de téléphone, de fournisseur.

Un bruit insupportable sur ma ligne. Des voix qui résonnent. Des sons qui résonnent. Il n’y a qu’avec moi que ça fait ça, elle me dit. Ca doit être mon téléphone, elle me dit. Je ne comprends rien à ce que tu dis, elle me dit. A cause de ce bruit insupportable, elle me dit. Mais je ne dis rien, je lui dis. Je l’écoute, je lui dis. Ce bruit, ce bruit; elle me dit. Il faut interrompre la conversation, elle me dit. Mettre fin. Ce bruit est insupportable. Qu’est ce que c’est que ce bruit ? – elle me demande D’où ça peut venir ? Personne ne t’en a parlé de ce bruit ? Il n’y a que moi qui l’entende, ce bruit ?