CHEVAL BLANC N’EST PAS CHEVAL

– Se peut-il penser rien de plus opposé à tout principe naturel que l’idée de justice ?
Me dis-je en coupant du saucisson.
Une énorme tranche, épaisse comme mon pouce.

– Se peut-on représenter rien de plus éloigné de toute observation immédiate du monde que la notion de liberté ? Que le concept d’amour ?
Me dis-je en versant de l’eau chaude dans le filtre à café.

Et maintenant, buvant ce café, j’écris ceci.

Non, certes non, toutes ces idées – justice, liberté, amour – sont des constructions purement humaines, absolument artificielles et contre-nature et de considérer qu’elles puissent de quelque façon correspondre à des principes existants dans la Nature relève d’une croyance démente.

De croire en l’universalité cosmique de ces valeurs est dangereux, me dis-je.
De croire que la Justice pourrait être garantie sans qu’une puissance destinée à la garantir n’exerce souverainement un recours permanent à la violence.
De croire que la liberté puisse exister sans l’exercice constant de la contrainte.
De croire qu’il puisse y avoir de l’amour sans l’expérience permanente de la solitude la plus desséchante, sans l’existence de moyens de pression, de menace et de rétorsion multilatéraux.

D’où mon sursaut en lisant chaque nouvelle frasque de Trump. Mon sursaut hilare et incoercible devant l’assourdissante impunité dans laquelle se vautre cet Ubu dérisoire, l’absence de mesures qui succède à chaque nouvel outrage. 
Ce type dont on ne devrait pouvoir même supporter l’existence à cette place.
Cette figure de clown , ce coq de feu – il arrive à point nommé – précipite ce jeune empire dans le néant et, d’une certaine manière, c’est réjouissant.
C’est cosmiquement satisfaisant et humainement grotesque.

Comme s’il n’existait plus aucune puissance capable de garantir la moindre des prétendues valeurs que ce gros porc piétine joyeusement. Elles cessent immédiatement d’exister parce qu’elles n’ont jamais existé en tant que telles. Elles n’existent pas hors la puissance qui les garantit. Il n’en reste que l’absurdité grimaçante.

– Mais bon, me dis-je, me resservant un mug de café avant d’aller chercher C. à sa répétition.
C’est ainsi et il faut maintenant quadriller nos domaines, nos territoires. 
L’Etat peut cesser d’être fréquentable du jour au lendemain.
Il s’agit de couvrir notre fuite et de garantir notre survie.
Nous sommes des réfugiés.
Nous sommes tous des réfugiés.

Ce matin, j’étais à la Porte de Versailles, sur le salon des études artistiques. Et on parlait de l’avenir des jeunes gens. C’est vous dire la brume.
Heureusement, l’avenir des jeunes gens est devant eux.

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