
C’est toujours une chose étonnante, me dis-je, c’est toujours une sensation exaltante que celle de se lever spontanément à 5h09, alors que l’on a programmé le réveil pour 5h15, d’avaler vite fait un petit-déjeuner qui exigerait davantage de mastication, de procéder à de sommaires ablutions, de chercher à la hâte ses affaires, d’en oublier fatalement quelques unes, de courir jusqu’au métro, d’attraper le 6h46 à la Gare du Nord, de débarquer à Dunkerque en pleine nuit à 8h23 après 1h40 d’écoute somnolente de podcasts des Nouveaux chemins de la connaissance, de prendre un dernier café à la gare avant d’affronter le froid des 800 mètres qui séparent la gare de l’école, encore vide et à demi endormie, d’embrasser les quatre personnes qui, hagardes et encore incrédules, errent dans le hall, pour rejoindre une classe vide et attendre – peut-être en vain – que des étudiants se présentent à l’appel que l’on fît quelques jours plus tôt, par mail et qui demeura sans réponse, malgré la demande expresse d’un accusé de réception et le rappel ultérieur de ladite demande.
Oui, c’est encore et toujours une chose étonnante et une sensation exaltante, me dis-je à présent que je me trouve assis depuis bientôt quinze minutes devant cette absence, devant ce vide.
Voilà bien une situation propre à évacuer tout ce qui pourrait subsister d’un ordre moral, me dis-je encore, et cette pensée fait monter en moi un sourire. Et même, oui, je souris tout seul là, maintenant, au milieu de cette classe vide.
Des gens passent dans le couloir mais ce sont d’autres profs sans élèves, ou bien du personnel administratif et technique. On s’embrasse, on se parle du chauffage qui ne marche pas (tiens, je n’avais même pas remarqué, hmmm, oui, il est vaguement tiède), on se présente nos meilleurs vœux. Certains trimballent déjà une gamelle. Manifestement, d’après les conversations qui parviennent jusqu’à moi depuis le couloir, beaucoup n’ont pas bien dormi. Je n’arrive pas à décider s’il faut déduire quelque chose de cette information.
Je repense à Hölderlin. À la mort d’Empédocle.
Bon, s’il ne vient personne, me dis-je, j’irai lire Hölderlin à la bibliothèque.
Ah mais je suis mauvaise langue, voici deux étudiantes déjà.