REFROIDISSEMENT GLOBAL

C’est toujours un peu fatigant les vacances de Noël, toujours un peu déprimant, toujours un peu assommant.
C’est toujours un peu à contre-cœur, un peu à regret, toujours à son corps défendant.
C’est toujours un peu trop de pression, un peu trop d’efforts, toujours trop de complications.
C’est toujours un peu l’enfer, les vacances de Noël, un moment éprouvant.
Une épreuve.
Une série d’épreuves.
Une longue série d’épreuves prises les unes dans les autres.
Chaque nouvelle épreuve plus pénible et apparemment insurmontable que la précédente.
Sans apparence de fin.
Mais il y aurait bien une fin.
Une fin venait toujours à la fin.
C’était une heureuse tautologie, m’étais-je dit.
Enfin.

Un jour – il y a longtemps – j’avais cru pouvoir y échapper.
J’avais cru pouvoir échapper à tant de choses.
Et voilà que, juste au moment où je croyais enfin m’en être tiré pour de bon, l’on m’y avait replongé – je m’y étais moi-même replongé – et j’en avais repris pour vingt ans.

Les enfants.
C’est encore et toujours la faute des enfants.
Les enfants sont très responsables et j’irais même jusqu’à dire très coupables des maux qui nous accablent encore et toujours à Noël, m’étais-je dit.
Et d’ailleurs, ils sont, eux aussi, toujours déçus et malheureux, avais-je pensé.
Noël est une malédiction, m’étais-je dit.
L’esprit de Noël est un démon malfaisant et machiavélique, avais-je pensé.

Je dis ça, me dis-je, mais il y a aussi de bons moments, bien que brefs et rares.
Il y a toujours de bons moments au milieu des pires tourments, me dis-je.
Et il y a, de toute évidences, des tourments bien pires, me dis-je encore.

Bref, le froid était venu et le chauffage avait commencé à faire des siennes, comme aurait dit Maître Gimps.
La chaudière, en s’arrêtant déjà à deux reprises depuis hier et le poêle du salon, en se mettant en alerte dépression déjà, deux fois aussi.
Je ne sais que penser, m’étais-je dit.
J’espère que ce n’est pas que le début d’une longue galère, avais-je pensé.
Angoisse.

La voiture est plus difficile à démarrer le matin. Il faut faire préchauffer.

Ce matin, il avait fallu démarrer tôt, à six heures, pour déposer Lady Pénélope et Maxime Protagoras à la gare de Poitiers pour le train de 7h14.
En roulant, l’on avait écouté, au sein des Nuits de France-Culture, qui sont encore ce que France-Culture peut proposer de mieux – la production actuelle étant généralement d’une indigence désolante – une émission de 1977 consacrée aux arbres.
Et cela avait été comme d’une autre espèce humaine, d’un autre rapport au temps et au langage, d’une autre manière de se relier au monde, au cosmos, d’envisager l’enchaînement de l’Histoire aux événements; cela avait été, m’étais-je dit, comme d’ une autre vision de l’aventure humaine. C’est d’un autre monde, d’une autre humanité, avais-je pensé.
Et pourtant, cela ne semblait pas si loin, quand on y pensait, m’étais-je dit.
J’avais roulé en silence et en souriant à l’intention des arbres, des ormes, des chênes, des frênes, des hêtres, des merisiers et des marronniers de trente ans.

On ne sait jamais si les adolescents s’amusent ou s’ennuient, m’étais-je dit.
On ne sait jamais s’ils sont intéressés ou barbés par le film que l’on regarde ensemble, s’ils sont émus ou insensibles, avais-je pensé.
Pour ou contre ? On ne sait pas.
On ne sait jamais s’ils sont attentifs ou indifférents aux paysages que l’on traverse ensemble, s’ils sont à l’écoute ou totalement sourds à la musique diffusée dans l’espace que l’on partage, m’étais-je dit.
En réalité ils sont probablement équipés d’écouteurs intra-auriculaires et immergés dans leur propre bain musical, avais-je pensé.
Ce qu’ils en pensent et même s’ils en pensent simplement quelque chose ?
On ne sait pas.
On ne sait jamais s’ils sont contents ou désolés d’être là, avais-je pensé.
Ils ont cette sorte d’innexpressivité propre à l’adolescence. En alternance avec ces brèves exaltations également propres à l’adolescence (au sens dostoïevskien du terme), qui sont le corolaire de cette inexpressivité fondamentale.
C’est toujours assez angoissant cette coupure que l’on ressent.
Sans doute sont-ils trop accaparés par le caractère initiatique de chaque expérience et les contraintes de cette phase d’apprentissage et de croissance intensive ?

Les parents disent qu’ils vont rester deux jours mais ils ne restent pas même un jour complet. On a beau s’y attendre, c’est toujours une surprise. Mais ils sont tout de même contents, même si malades, fatigués; même s’ils ont eu froid. C’était quand même un beau réveillon, avaient-ils dit.

Je ne sais pas pourquoi c’est si triste, Noël. Pourquoi c’est déchirant de tristesse. Morne, triste, gris. Et puis il fait froid. Il faut en finir, on se dit, me dis-je.

Passons à autre chose, me dis-je. Tirons un trait et allons de l’avant.

L’on s’en était tout de même pas trop mal sortis, avais-je pensé.