2009
De 2006 à 2008, je me suis rendu très régulièrement dans le quartier Cristino Garcia de Saint-Denis, dit “la Petite Espagne”, du fait de l’implantation sur ce site d’une importante communauté espagnole au début du XXème siècle, immigrants économiques à la recherche d’un travail dans les nombreuses industries de la Plaine Saint-Denis.
Encore aujourd’hui, il s’agit d’un quartier d’immigration, investi par des populations dont les origines ont varié au cours de l’Histoire: polonais, italiens et espagnols de la fin du XIXème au début du XXème siècle, marocains, tunisiens et algériens, pendant la période 50-70 et au cours des dernières décennies maliens, sénégalais, roumains, capverdiens.
En raison du statut particulier des habitations, souvent bâties sans titres de propriété sur des terrains pollués par les industries chimiques et concédés par la municipalité aux premiers migrants, en raison également de l’extrême pauvreté d’une grande majorité des habitants, les opérations d’aménagement, de relogement et d’urbanisme y sont complexes et le quartier conserve un caractère insulaire de “petit village” à une quelques centaines de mètres de la Gare RER, du Stade de France et de nombreux immeubles de bureaux.
Il est pour l’instant interdit d’y bâtir des bâtiments de plus de quatre étages et la communauté urbaine y privilégie des projets de logements sociaux. De nombreux chantiers sont en cours. Cependant, la revalorisation de ces terrains situés à quelques minutes du centre de Paris, laisse penser qu’ils vont faire l’objet de nombreuses opérations immobilières dans les années à venir. Malgré la bonne volonté affichée par les urbanistes et les travailleurs sociaux, il est à prévoir que les pauvres seront, comme toujours, repoussés plus loin.
Suivant l’idée que le passé peut aider à comprendre le présent, j’ai passé quelques journées dans les archives de la ville de Saint Denis à lire et sélectionner des documents administratifs tels que les comptes de receveurs de la ville au XVIIIème siècle, des circulaires de Police du XIXème siècle, des comptes rendus d’assemblées générales de mairie au XXème, des échanges de courrier entre la mairie et des habitants. J’ai monté une sélection de ces textes en regard de séquences tournées aujourd’hui à Saint-Denis, dans le quartier Cristino Garcia, et sur les principaux sites industriels des manufactures et usines des XVIIIème, XIXème et XXème siècle, ainsi que dans les derniers champs de laitues en culture au pied des immeubles à la limite des communes de Saint-Denis et de Stains. Ces ponts jetés à travers le temps et l’espace rendent sensibles le projet d’une ville, de son organisation et de son développement au cours du temps, vus au travers du prisme souvent burlesque, poétique et cruel d’un rêve administratif.