SATISFACTION

Décidément non, pas de farine de blé et pas de topinambours.
Et le vin, bien sûr, n’aide pas.

Sinon, l’étau se resserre – comme on dit – autour de François Fillon et, à ce propos, c’est absolument par le plus grand hasard que j’avais intitulé mon post de l’autre jour « Pénélope ». Je veux dire qu’au moment où je choisissais ce titre, je n’avais pas encore connaissance de l’affaire et j’avais choisi le nom de l’épouse d’Ulysse à cause de cette histoire de tapisserie qui se tramait de jour et détramait de nuit.

Et là, comme on s’y attend, une petite fille curieuse vient appuyer son coude sur mon avant-bras gauche et rigoler bêtement à chaque mot que je tape.
C’est embêtant.
Je crois que je vais faire une pause petit-déjeuner, voire crapette.
Il faut tout de même que nous allions faire des courses parce que S. vient déjeuner.

Juste avant la pause, dire que hier, après le salon de l’Étudiant consacré aux formations artistiques, nous sommes allés écouter les choristes du Conservatoire parmi lesquels C. officiait. Une glace chez « Chacun ses goûts » avec T. entre la répétition et le concert. Puis de retour à la maison, pancakes-crapette (ma vie est un enfer) et P.G. me texte pour proposer un verre. Nous nous retrouvons sur le canal de l’Ourcq.

– C’est quoi un canal ? – demande la petite fille, en se bouchant le nez en raison d’un pet malencontreux – faute aux topinambours – de son père honteux.
– Crapette!

Mais avant, supprimer tous les jeux du téléphone. 
On a besoin de régression, certes, mais on peut trouver des modes régressifs plus créatifs et plus épanouissants. Bye bye Candy Crush!
– Garde Pou game ! – fait une petite voix.
Pou Game reste, pour l’instant…

Je termine plus tard.
Les posts sont in-progress dans une certaine mesure. Ne serait-ce qu’en raison des indispensables corrections d’orthographe.

Et voilà donc que dans cet intervalle muet je suis allé faire les courses au petit supermarché chinois de la rue au Maire. J’ai rapporté des travers de porc, des légumes, des pâtes de riz, du lard séché, du soja caillé, des champignons. 

À l’instant, je viens de mettre les travers de porc à mariner avec un mélange d’ail et de gingembre grossièrement haché, de miel (2 cs), d’huile (1 cs), de vinaigre noir (2 cs) et de sauce soja (10 cs).

Tout à l’heure, je ferai d’abord saisir les travers de porc égouttés, avant d’ajouter la marinade passée au tamis et de laisser cuire 30 à 45 minutes, dont les dernières 10 minutes à découvert et flamme forte pour provoquer l’évaporation et la caramélisation.

FIN DE PRIMAIRES

Donc c’est Benoît Hamon pour le PS, comme c’était à prévoir.
Bon. Oui, parce que bon.
En fait, je dis ça latéralement, incidemment. 
On ne peut pas dire que j’ai beaucoup suivi.

Nous étions avec Y. à la salle Cortot, pour écouter J-L A.
Concert à 18h. Il n’y a pas grand monde et c’est dommage pour eux parce que c’est sublime ce que vous avez raté bande de nazes.

Splendeur sublime: Liszt, Sonnets de Pétrarque et le Dante, plus cinq des vingt Regards de l’enfant Jésus de Messiaen. Grave dingue. 
Le mec a les bras en pelote après et il a le droit.
Parce que, pendant une heure trente, torero délicat, il caresse et soudain plaque, crack, zlap! Et hop il est déjà de l’autre côté ramassé et vlllllllllllan, il déroule tout le clavier, dérapage contrôlé, glissade, roulade et hop un accord plaqué délicat, fluet furtif, avant grand martelage, etc.
Et vite, et nerveux et souple et élastique et soudain lent, doux, tendre, à demi, puis brutal, écrasant, mitraillant…
Patinage artistique, grand jeté. 
Ca déglingue sévère. On entend sonner tous les harmoniques. Les dissonances nostalgiques d’une harmonie qu’elles contiennent, qu’elles enveloppent, qui les enveloppe en retour.
Le corps du pianiste comme une vague, un tsunami, à l’assaut du piano (qui ne doit pas être indemne). On a envie de taper des secondes mineures jusqu’au bout de la nuit. 
Les aigus impeccables. Obstinés.

Seul tristesse: C. n’a pas pu nous accompagner parce qu’elle jouait chez une copine et que pas moyen de la joindre, le téléphone sonnait dans le vide. Elles étaient sorties. Du coup, la crise ce soir avant de se coucher. Victimisation torride.

Je ne sais pas pourquoi, mais dès qu’il y a plus de trois personnes je me sens mal à l’aise et comme je n’ai pas le droit au gluten ni au vin, je n’ai pas la ressource de m’empiffrer au buffet. Alors je file à l’anglaise chercher C.

J’ai réservé une bagnole de location pour demain. 9h à Gare de l’Est.
On chope O. à Lille et on file à notre rdv.

Après le déjeuner, j’avais fait un saut à la salle de gym. Circuit muscu mais j’étais à plat.
Trop bu hier, donc séance détox.
Hélas, demain je n’aurai pas le temps d’une vrai bonne séance.
Ce sera mardi, si j’ai de la chance.

Comme ça dans la douche, je me suis dit, mais c’est peut-être idiot, qu’il y avait une similitude entre la situation actuelle de Macron et celle de Giscard en 1974. Ce qui ne veut rien dire, n’est-ce pas ?

CHEVAL BLANC N’EST PAS CHEVAL

– Se peut-il penser rien de plus opposé à tout principe naturel que l’idée de justice ?
Me dis-je en coupant du saucisson.
Une énorme tranche, épaisse comme mon pouce.

– Se peut-on représenter rien de plus éloigné de toute observation immédiate du monde que la notion de liberté ? Que le concept d’amour ?
Me dis-je en versant de l’eau chaude dans le filtre à café.

Et maintenant, buvant ce café, j’écris ceci.

Non, certes non, toutes ces idées – justice, liberté, amour – sont des constructions purement humaines, absolument artificielles et contre-nature et de considérer qu’elles puissent de quelque façon correspondre à des principes existants dans la Nature relève d’une croyance démente.

De croire en l’universalité cosmique de ces valeurs est dangereux, me dis-je.
De croire que la Justice pourrait être garantie sans qu’une puissance destinée à la garantir n’exerce souverainement un recours permanent à la violence.
De croire que la liberté puisse exister sans l’exercice constant de la contrainte.
De croire qu’il puisse y avoir de l’amour sans l’expérience permanente de la solitude la plus desséchante, sans l’existence de moyens de pression, de menace et de rétorsion multilatéraux.

D’où mon sursaut en lisant chaque nouvelle frasque de Trump. Mon sursaut hilare et incoercible devant l’assourdissante impunité dans laquelle se vautre cet Ubu dérisoire, l’absence de mesures qui succède à chaque nouvel outrage. 
Ce type dont on ne devrait pouvoir même supporter l’existence à cette place.
Cette figure de clown , ce coq de feu – il arrive à point nommé – précipite ce jeune empire dans le néant et, d’une certaine manière, c’est réjouissant.
C’est cosmiquement satisfaisant et humainement grotesque.

Comme s’il n’existait plus aucune puissance capable de garantir la moindre des prétendues valeurs que ce gros porc piétine joyeusement. Elles cessent immédiatement d’exister parce qu’elles n’ont jamais existé en tant que telles. Elles n’existent pas hors la puissance qui les garantit. Il n’en reste que l’absurdité grimaçante.

– Mais bon, me dis-je, me resservant un mug de café avant d’aller chercher C. à sa répétition.
C’est ainsi et il faut maintenant quadriller nos domaines, nos territoires. 
L’Etat peut cesser d’être fréquentable du jour au lendemain.
Il s’agit de couvrir notre fuite et de garantir notre survie.
Nous sommes des réfugiés.
Nous sommes tous des réfugiés.

Ce matin, j’étais à la Porte de Versailles, sur le salon des études artistiques. Et on parlait de l’avenir des jeunes gens. C’est vous dire la brume.
Heureusement, l’avenir des jeunes gens est devant eux.

C’EST CELA ET CE N’EST PAS CELA

Hier j’ai eu la 110. Elle donne sur le port.

La vue est jolie mais la chambre a quelques problèmes.
En particulier, la lunette des WC est désolidarisée du bol de faïence.
La serrure électronique ne fonctionne pas au quart de tour. 
Il faut s’y reprendre à trois fois.

Pas d’eau chaude ce matin, mais c’est peut-être parce que je me suis levé plus tard que d’habitude.

Dans la 110, il y a du réseau, mais près du lit seulement.

L’auberge de jeunesse est bourrée de monde. Un séminaire de dernière minute, m’a-t-on dit.
Vers trois heures du matin, ça shoote dans les portes et ça hurle graveleux dans les couloirs.
Écouté un vieil ACR, « Idées noires » par Manuela Morgaine et William de Carvalho. Beau et hypnotique. Puis une table rondes des Rencontres de Pétrarque 1992 consacrée à la « fin des idéologies ».

Ca discutaille sec mais je ne prête attention qu’aux timbres, aux phrasés, aux accents, au grain des voix. Seule compte la voix. Ce qu’elle dit n’a pas d’importance. La voix peut avoir raison et dire quelque chose de faux ou d’insensé. Inversement la voix peut énoncer une vérité pure et avoir tort cependant. Seul compte la musique de la voix. Le langage n’est rien. Le langage s’éloigne.

MOINS DIX

Je me demande comment on mesure la température ressentie.
Et puis ressentie par qui, d’abord ?
Par exemple, le père de L., je le vois tous les jours en chemisette, alors que tout le monde s’enveloppe dans des couches de duvets, de bonnets, de gants et d’écharpes. Rien à foutre du ressenti, le père de L. Pour le père de L., le ressenti permanent est de vingt-cinq degrés, même par moins douze. Comment parvient-on à ce résultat ? Au terme de quel entraînement ?
Ou bien est-ce une prédisposition génétique ?

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui à Dunkerque, le thermomètre indique moins quatre degrés mais le bulletin météorologique précise: « ressenti de moins dix ».
Moi, je ressens moins dix au bas mot.
Pour dire, je suis venu en courant de la gare, tellement j’avais froid.
Le pire moment ayant été celui passé à attendre que le feu du boulevard passe au rouge pour les voitures.
Attente qui a peut-être duré trois minutes mais m’a paru éternelle.

Et j’arrive à 8h40 avec une heure vingt devant moi avant le début des jurys. Ce sont les étudiants de cinquième année qui présentent leurs travaux aujourd’hui. Bon.

J’aimerais récupérer mon ordinateur, toujours retenu prisonnier par l’exposition Pool Ball. Et c’est réellement débile parce que, pour finir, l’installation n’est pas en fonctionnement, n’ayant pas été en mesure de transmettre le vade mecum au régisseur qui n’est guère disponible. De ce fait, mon ordinateur est retenu pour rien sur un plateau désert depuis une semaine.
Le seul bénéfice que j’en retire est un sevrage violent de toute activité de bureau.
Ce n’est pas rien.

Une semaine que je ne me suis pas assis à mon bureau, ou alors épisodiquement pour chercher un papier, prendre une note, rien de méchant.

Ce qui me manque, cependant, c’est la faculté d’écrire quand je veux. 
Evidemment, je pourrais écrire sur du papier, mais je ne peux pas. Je n’ai pas l’organisation qu’il faudrait avoir.

Je dois ajouter que les tenanciers du petit restaurant japonais, où je vais déjeuner tous les jeudis, sont des enculés.
Il s’agit bien entendu d’un faux restaurant japonais, tenu par des chinois. La cuisine y est médiocre (le riz est infect) mais c’est à côté de l’école et une méthode simple pour se nourrir de protéines.
Bref, ils ne m’avaient pas mis au parfum pour la carte de fidélité. Il a fallu que je vois un client sortir la sienne pour être affranchi.
Depuis le temps que je viens ça en aurait fait des repas gratuits.
Elle a fait la grimace quand j’ai pris ma petite carte et m’a mis un mesquin coup de tampon.
Pour le panache, elle m’en aurait mis dix d’un coup qu’on était loin du compte.
Saleté, va.

Renseignement pris, pas moyen de récupérer mon ordinateur encore: on attend du monde ce soir.
Récupération, donc, demain matin.
Et après, zou.

PÉNÉLOPE

Je n’aime ni commander ni obéir.
Bien sûr, je peux faire et l’un et l’autre. Ce qui est humain est à la porté de qui est humain.
Mais l’un et l’autre, sans plaisir.
Cela porte à éviter la compagnie de qui aime à commander, de qui aime à obéir.
Cela condamne à un certain retrait, à une certaine solitude.
C’est pour cela que j’écris.
Chaque jour est un texte du grand texte et chaque jour s’emploie à détramer à mesure le texte qui se tisse.

P.G. me faisait remarquer qu’il fallait bien tout de même adresser cela à quelqu’un.
Il fallait, si peu que ce fût, être amoureux de quelqu’un à qui adresser – même fictivement – cela que l’on produit, que l’on écrit. Alors, en marchant, de retour du club de gymnastique, je fais défiler dans ma tête les amoureuses putatives.

De la première qui survient, je me dis:
– Elle est trop facile, elle est trop glissante. Je ne l’aime pas.
De la deuxième:
– Elle est trop pressante, elle est trop pressée. Je ne l’aime pas.
De la troisième:
– Elle est trop distante, elle est trop fermée. Je ne l’aime pas.
De la quatrième:
– Elle est trop absente, elle est trop lointaine. Je ne l’aime pas.
De la cinquième:
– Elle est trop précieuse, elle est trop précise. Je ne l’aime pas.
De la sixième:
– Elle est trop potache, elle est trop familière. Je ne l’aime pas.
De la septième:
– Elle est trop sévère, elle est trop concentrée. Je ne l’aime pas.

Il n’est pas facile d’aimer, me dis-je. Il n’est pas facile de dire que l’on aime. De dire ce que l’on aime lorsque l’on dit que l’on aime. De dire qui aime, qui en soi-même, aime. Car l’on est dialogue, l’on est opposition, l’on est schize, l’on est conflit, conjonction, conjugaison. L’identité, c’est bon pour les couillons, me dis-je.

Depuis que j’ai supprimé Facebook et Messenger de mon téléphone, je ne m’en sers pratiquement plus. Du coup, j’ai même passé un coup de téléphone, hier, à S., ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps: appeler quelqu’un sans raison particulière, juste comme ça, pour entendre sa voix. C’est drôle. Avant, j’étais allé au cinéma, voir Assassin’s Creed, dont je n’ai rien à dire sinon qu’il me semble que c’est le premier film américain véritablement pro-Daesh (le crédo des assassins, opposés aux templiers, jusqu’à l’apologie du martyre et au nihilisme conceptuel: il n’y a pas de loi, pas de morale, rien n’existe hors du crédo). 

Puis en sortant, j’étais allé voir Harmonium, dont toute la trame me paraît cousue de fil blanc. Deux choses m’intéressent: le visage de l’actrice, apparemment entièrement dû à la chirurgie esthétique et l’aspect « vidéo » de l’image. Bien qu’en haute définition, j’y retrouve cette texture vidéographique des années télé. Je me demande si c’est dû au 60 Hz. En quoi cela consiste-t-il exactement ? En une trop grande impression de netteté ? Une profondeur de champ et un contraste excessifs ? Je ne sais pas exactement.
Il y a une dureté lisse de l’image. Une irréalité dégoûtante des couleurs.
Je ne sais pas si ce peut être intéressant esthétiquement.
Je veux dire, je ne sais pas s’il est possible d’en tirer quelque chose. S’il est possible de préférer ce type d’image au rendu plus « cinéma », à l’illusion du cinéma.

En rentrant, j’avais eu envie de figatellu, mais il n’y en avait plus. Alors j’ai pris de la poitrine fumée. J’ai eu envie de vin aussi. Alors j’ai pris un petit Moulis 2012. Y. s’était fait de la soupe, C. voulait des gnocchis et je me suis préparé des pipe rigate, avec la poitrine fumée, un reste de saucisses, du piment d’Espelette, de l’ail, des tomates, deux petits choux de Shanghai et du vin blanc. 

En ce moment, chaque semaine, je prends et je perds un ou deux kilos. Je passe ma vie entre 70 et 72kg.
En milieu de semaine, c’est la pause protéines et je perds un ou deux kilos.
En fin de semaine et en début de semaine suivante, c’est la fiesta et je reprends un ou deux kilos.
Ca se stabilise, donc.

Aujourd’hui, comme tous les mercredis, j’emmène C. manger des sashimis, marquant ainsi le début du cycle protéines.
C’est très réglé tout ça. Très rituel. Confucius m’habite.

CHIEN DE FAÏENCE

En me promenant, j’avais été interpellé par ce caniche blanc dans une vitrine.

Il – ou elle – disait: 
– Je suis une petite pute. La petite pute de Donald Trump.
Et aussitôt je m’étais senti investi de la mission d’aller porter ce petit caniche au gros porc blond.

Parallèlement, un petit garçon gravissait une montagne, calquée sur le modèle du Puy de Dôme, en suivant les rails, pour parvenir jusqu’à la terrasse du président des Etats-Unis, en faisant semblant de chercher sa balle.
Son père – qui était aussi moi – tentait de le rattraper, tandis que le petit garçon gravissait, gravissait et que résonnait l’hymne national des Etats-Unis (méconnaissable).

Simultanément, je me présentais, serrant le petit caniche sous mon bras, à la porte des bureaux du gros porc blond et j’étais reçu par un jeune type qui me dit, textuellement:
– Je suis la secrétaire de Bill Clinton.

Je ne m’attendais pas à tomber sur Bill Clinton.
Je dis que je viens voir le président des Etats-Unis et que je dois lui remettre quelque chose.
Le type prend un air contrit, m’attrape par les épaules et m’amène devant un comptoir, derrière lequel se tient un employé à la gueule cassée – certainement un vétéran d’Afghanistan ou d’Irak – et tout en désignant ledit employé, « la secrétaire de Bill Clinton » me dit: « voilà la contribution du président des Etats-Unis ».

J’aimerais lui objecter que, si l’on peut faire toute sortes de reproches au gros porc blond, il n’est tout de même pas responsable de l’envoi de troupes en Afghanistan et en Irak par d’autres gouvernements, qui l’ont précédés, mais je m’en abstiens, jugeant que c’est peine perdue. 

Au fond du couloir, je vois le bureau du gros porc. Des tas de gens se bousculent à sa porte pour recevoir des cadeaux qu’il distribue à tour de bras.

J’ai envie de dire: 
– Moi, je ne veux pas de cadeau, je veux juste livrer mon paquet et je m’en vais.

Mais encore une fois je ne peux pas parler.

Et pendant ce temps là, de l’autre côté, le petit garçon est parvenu au sommet. 
Il pleure, parce qu’il est fatigué. Son père (moi) essaye de le consoler et le bruit qu’il fait attire l’attention des invités du président, qui se trouvent sur la terrasse. 

Je suis étonné que nous n’ayons pas été arrêtés par des agents de la sécurité. Nous pourrions être des terroristes et il est si facile de se trouver là. Nous pourrions nous jeter sur les invités, sur le président et tous les égorger. Rien ne nous en empêche. Mais nous n’avons pas du tout prévu de faire ça. 

Je prends le petit garçon dans mes bras pour le consoler et tourne le dos à la terrasse, aux invités du président. Le petit garçon – lui – leur fait face et soudain son visage rayonne de joie et il dit: 
– Oh, le voilà, le sublime dieu blond!.

Ne pas regarder. Ne pas se retourner.

Une phrase se met à tourner dans ma tête, qui parle d’un être – mi caniche, mi jeune femme – et dit d’elle quelque chose comme: elle convoite les dieux des cieux et les cieux aussi; elle convoite ce que personne ne songerait à désirer.
Il y avait une belle figure de rhétorique et des verbes adéquats mais j’ai tout oublié.

Dimanche soir j’ai désactivé mon compte Facebook, effacé l’application de mon téléphone et hier j’ai pu travailler dans une sérénité nouvelle, que je n’avais pas connue depuis longtemps. J’ai passé une bonne partie de la journée à restaurer les photos du blog (années 2004-2005), à faire un peu de piano, à accompagner C. au conservatoire. 
Session Skype avec I.I. et V.P. pour le truquage d’une séquence.
I. m’envoie les éléments. On regarde avec P. et c’est coton.

Puis je rejoins P. au musée des arts décoratifs. Il y a un vernissage, mais tellement de monde que nous renonçons à entrer et allons manger un ramen dans un des restaurants japonais de la rue St-Anne.
Ensuite nous allons boire quelques verres rue Montorgueil, avant de rentrer.

Et là, par exemple, sans exhaustivité et pas nécessairement dans cet ordre: Hong Sangsoo, Guiraudie, la primaire du PS et les élections à venir, le programme de Benoît Hamon, la vie conjugale et le sexe, le désir et le travail, le temps, l’obstination (et le malgré soi), le pop corn, la République Tchèque, le Sancerre, la confiance en soi, penser que son monde est le monde, le refus de l’analyse, est-ce que ça ne t’embête pas si je…?, avoir un bon copain, écrire, une revue, Surmachine, demain, écrire.

CE QUE J’IGNORE PLUS QUE TOUT

Ce que j’ignore plus que tout est la trame de ce qui est.
Il y avait une suite, mais j’ai tout gommé.
C’est ça le titre.
Mais il faudrait commencer plus simplement. Je cherchais une phrase simple pour commencer la journée.
La phrase commençait toujours par « ce qui m’échappe » ou « ce que j’ignore », etc.
Il me semblait donc nécessaire de commencer ainsi.
Mais il faut continuer avec la même simplicité.
Le problème c’est qu’il y a une petite fille qui rigole derrière moi.
Ca va être mon problème.
Ce qui m’échappe c’est comment je vais le résoudre.
Et puis alors j’ai voulu me faire une galette au son d’avoine, mais la poêle accrochait. Ca collait. Tout ça m’a un peu pourri l’humeur au petit déjeuner. 
Finalement, donc, une galette à peu près constituée, avec une tranche de jambon. Un café trop amer parce que pas assez d’eau chaude, probablement. Une crapette. Le correcteur d’orthographe – cet imbécile – voulait me faire écrire « une carpette ». Quel idiot.
Les doigts sont froids sauf là où ça tape le clavier. Il faudrait que je change de doigt à chaque lettre.
J’ai fait des exercices de piano, aussi, pendant que C. me volait mon téléphone pour jouer à des jeux débiles.
Oui, moi aussi je joue à des jeux débiles, évidemment. Il faut être juste.
Mais je n’ai pas 7 ans et demi, moi.

Ce que j’ignore plus que tout, c’est ce que je vais dire ensuite.
Ce que je vais dire ensuite, c’est ce qui se prépare dans mon esprit.
Ce qui se prépare dans mon esprit, c’est le mouvement du souffle derrière les yeux.
Le mouvement du souffle derrière les yeux, c’est la circulation des énergies.
La circulation des énergies c’est la mise en route du moteur.
La mise en route du moteur c’est l’observation des signaux.
L’observation des signaux c’est l’éveil intermittent.
L’éveil intermittent c’est l’œil qui s’ouvre sur lui-même.
L’œil qui s’ouvre sur lui-même c’est le refrain des jours.
Le refrain des jours c’est le retour du vent dans les branches.
Le retour du vent dans les branches c’est le soulèvement de la vie.
Le soulèvement de la vie c’est l’anticipation du rassemblement.
etc.

PRIVÉ DE DÉSERT

Plus d’ordinateur.
Il est l’otage de l’exposition Poolball, à l’Atelier Culture La Piscine à Dunkerque pour une semaine.
J’utilise l’iMac qui est installé dans la chambre de C.
Elle lit par-dessus mon épaule et ça me gêne.
Elle rigole et me demande pourquoi ça me gêne.
Je ne lui répond pas puisqu’elle lit ce que j’écris.
Mais du coup, je ne peux pas écrire ce que je veux.
Ca m’énerve.
Je crois que je vais aller faire des courses.
Ca me détendra.
Oui, c’est ça, je vais aller faire des courses.
Donc, nous sommes allé faire des courses. Nous avons acheté du fromage blanc, des yaourts, de la viande, des brocolis, des poires, des jus de fruits, du pain complet, de la salade, des bonbons.
J’étais à Dunkerque toute la semaine, ou presque (de mardi à vendredi) avec un passage à Lille fortement arrosé jeudi soir, pour voir H. On était contents de se retrouver et nous nous sommes un peu sentis obligé de goûter à tous les sakés, puis au soju, puis aux whiskies. Et H. m’a aussi fait goûter de tous ses délicieux légumes fermentés et de ses pâtes de cacao ou de sésame.
Et puis ç’avait un peu été une bouteille de vin tous les soirs à Dunkerque donc aujourd’hui détox. 
Aujourd’hui, gym et protéines.
Même punition demain matin et il n’y paraîtra plus.

C’est agréable de ne pas avoir d’ordinateur. On expérimente une sensation de manque diffuse et légèrement grisante.
On frôle le danger. On est loin de ses fichiers. Loin de ses extensions.
On est libre, on flotte, on est léger.
On sortirait, pour un peu.

On irait au cinéma. On irait flâner.
S’il ne faisait pas moins douze.

Avec H., au réveil vendredi – réveil lent dans le soleil glacé – on se demande si finalement il existe bien encore une catégorie de l’activité humaine que l’on peut désigner comme étant « l’art », en tant qu’autonome et distincte de toute autre. Et nous trouvons que, selon toute apparence, non, cela n’existe pas actuellement, n’a pas lieu, pas droit de cité, pas d’existence avérée. Cela – qui relève de la croyance et d’une transcendance – n’est pas incarné actuellement. Et ainsi, ce qui procédait de cette croyance et de cette transcendance se diffuse ailleurs, autrement, sous d’autres formes. On pense par exemple à certaines formes d’expression libre comme les chaînes Youtube, etc.

Et aussi, on imagine un monde dans lequel les parents resteraient des parents d’élèves tout au long de la vie. Il suivraient leurs enfants à l’université, puis plus tard au bureau et une communauté de parents serait toujours agrégée à toute activité humaine. Dans cette configuration, tout conflit, tout problème – y compris le plus mince – pourrait faire l’objet d’un débat avec les parents. par exemple, votre patron vous convoquerait pour vous présenter son père et souhaiterait rencontrer vos parents parce qu’il a constaté un manque d’investissement de votre part dernièrement et trouve qu’il serait nécessaire d’échanger en toute franchise et avec distance sur la question.

Ou encore, parfois et même souvent, les grands-parents bénéficieraient de l’appui de leurs petits enfants, du fait de la similitude de leurs positions de vie respectives, prenant en sandwich les adultes dans leurs suggestions.

Cette civilisation imaginaire amène la conversation sur des thèmes confucéens et sur des considérations liées à l’historiographie chinoise classique.

ADIEU AU LANGAGE

Elle s’en va, la langue maternelle.
Bien sûr, c’est qu’on se fait vieux et qu’un certain enchaînement du langage, de la pensée et de l’action, une triangulation désirante, agissante, menteuse ou véridique, n’est plus de saison, ne fait plus collectivement sens. C’est autre chose qui vient, auquel rien ne me prépare.

Par exemple, d’enseigner à un groupe d’une dizaine d’étudiants dont 90% sont non-francophones, cela fait que les ressorts du langage sont restreints. Il faut se servir d’autre chose. Il faut changer de vitesse et d’esthétique. C’est difficile-amusant. Frustrant, beaucoup. Pour tout le monde. Réciproquement.

Je cherche par où ça pourrait passer. J’allais écrire – Mc Luhan, Mc Luhan – par où ça pourrait masser. Massage de masse. Brassage de base. C’est fatiguant et solitaire.

Je dis peut-être ça parce qu’il fait froid et que j’ai mal au dos, parce que je n’ai pas eu le temps d’aller faire mon parcours spécial-dos. 
J’irai demain.

Aujourd’hui ça a été C. non stop.
Au réveil, à peine ai-je mis un pied dans la cuisine que j’entends, de la chambre, un cri:
– Papa ?
Je ne réponds pas. Je fais le mort, le temps de faire le café. Le mort de café.
Mais elle n’est pas dupe.
– Papa ? Viens ! Faut que je te parle!
J’envoie maman mais ça hurle.

Bref, elle a fait un cauchemar.
J’étais parti « pour toujours ».
– Où ?
– À New York.
– Et vous ne pouviez pas me rejoindre ?
– Non. On n’avait pas les papiers.
– Et je ne pouvais pas vous rejoindre ?
– Non, tu avais aussi perdu tes papiers.

Ensuite non-stop. Crapette, 8 américains, Mastermind, piscine. Pause télé-chirashi, pendant que je prépare un rôti de porc-ratatouille pour Y. et moi.
Y. trouve que j’ai mis trop de piment.
– Mais c’est du piment d’Espelette que je lui dis, ça ne pique pas.
– Y en a trop pour moi, c’est dommage j’avais faim, qu’elle me répond, culpabilisante.
– Y reste de la soupe dans le frigo, que je réponds, non mais eh…
Ensuite, c’est de nouveau papa-papa-papa-papa…
Au bout d’un moment, je dis: on sort.

On va chez Marian Goodman voir une expo Gordon Matta Clark et on passe un moment devant les projections de bandes 16mm à regarder des vieilles images du quartier Beaubourg. J’aime beaucoup les petits dessins et les papiers évidés. Ensuite, un saut par la galerie Mitterand, juste en face, œuvres optiques de Carlos Cruz Diez. On se croirait dans l’antichambre de Pompidou. Ensuite Franprix, courses générales, chewing-gums chez le petit arabe d’ouvert, bouquins chez Colette et yoghourts glacés chez « Chacun ses goûts » avant de rentrer. Et là, j’exige la paix, la vraie.
Alors elle prends un bain et ouf, j’ai cinq minutes de tranquillité.

Vivement que le studio de Montreuil soit opérationnel.
J’ai besoin d’un bureau, d’un atelier.

Bon, je vais bouquiner.
Pris au hasard, Performances de ténèbres de Pascal Quignard.
Let’s have a look.

Juste quelques notes sur vendredi, parce que je n’ai vraiment pas eu un moment pour écrire.
D’abord, jeudi soir, j’ai une conversation téléphonique avec F.D. et ça a duré presque deux heures, parce qu’il s’agissait de visionner avec lui, sur un site internet accessible uniquement sur rendez-vous et par une seule personne à la fois, quelques séquences qui forment la partie filmique de ce qu’il appelle « J’ai mis 9 ans à ne pas terminer ». C’était long, dense, parfois fatigant ou tordant mais il m’en reste surtout cette idée d’un carrefour où l’on tourne, tourne, tourne, sans jamais se décider à emprunter une sortie. Pour moi, cela ramène à l’image des dés que l’on garderait éternellement en main au lieu de les jeter.

Et après, il y a une telle tempête que je ne peux pas dormir et j’écoute la radio jusque vers 3h du matin.

OBJETS CONNECTÉS

Il faut bien que je l’avoue, j’ai acheté une brosse-à-dents électrique à 20 millions de dollars.
Mais elle est Bluetooth et il y a une appli iPhone pour la piloter.
Je sais, c’est ridicule. Ca ne sert à rien.
N’empêche, maintenant elle est là et se brosser les dents devient une autre aventure.
Et les têtes pivotent suivant une double articulation.
Entre ça et le drone, on commence bien l’année.

Je m’apprête à me coucher tôt pour un lever à 5h du mat direction Dunkerque.
J’emporte plein de devoirs pour le train. Il faut préparer les bandes rythmo pour les cinq séquences restantes de Pool Ball, j’ai encore une nouvelle à écrire pour Renoveler, un texte à fignoler pour Escalenta et ainsi de suite.

Journée passée à retaper d’anciens textes, à emmener C. à l’école, à l’aller chercher, à l’emmener déjeuner au restaurant japonais, à l’emmener au conservatoire. Beaucoup d’aller-venues en circuits courts.

Pluies intermittentes, tiédeur.

À 17h, on craque sur une praluline et ce soir pâtes de riz au lard chinois.

J’essaye la brosse-à-dent mais il faut passer un brevet de pilotage et programmer dent par dent le programme d’élimination de la plaque pour les six mois à venir et je décide de m’en tenir au mode basique pour ce soir. De toute façon, puisqu’elle n’a pas eu le temps de se charger, elle se met à clignoter en rouge au bout de cinq minutes et C. ne peut pas l’essayer.

Du coup, elle pleure parce que demain je ne serai pas là et il n’y aura pas l’appli iPhone pour se brosser les dents. Elle se faisait une telle joie. J’essaye de la consoler en lui disant que même sans l’iPhone, il reste le Smart Guide. Mais ce n’est pas pareil.

Avant d’aller se coucher elle me dit: « Allez viens papa on va au lit », sur le ton de qui dirait: « Allez, viens, on emmerde le monde entier et on part sur une île déserte ». Et je la suis sans moufter pour lire un épisode des aventures d’un poulailler qui reçoit les visite d’un rat conteur et d’un chat botté. Puis bisou-bonne nuit. 

Je m’occupe encore de ma comptabilité, je réserve le billet de train, la chambre à l’Escale et zou au pieu les petits vieux avec Anne Cheng et l’Histoire de la Chine.