
Elle s’en va, la langue maternelle.
Bien sûr, c’est qu’on se fait vieux et qu’un certain enchaînement du langage, de la pensée et de l’action, une triangulation désirante, agissante, menteuse ou véridique, n’est plus de saison, ne fait plus collectivement sens. C’est autre chose qui vient, auquel rien ne me prépare.
Par exemple, d’enseigner à un groupe d’une dizaine d’étudiants dont 90% sont non-francophones, cela fait que les ressorts du langage sont restreints. Il faut se servir d’autre chose. Il faut changer de vitesse et d’esthétique. C’est difficile-amusant. Frustrant, beaucoup. Pour tout le monde. Réciproquement.
Je cherche par où ça pourrait passer. J’allais écrire – Mc Luhan, Mc Luhan – par où ça pourrait masser. Massage de masse. Brassage de base. C’est fatiguant et solitaire.
Je dis peut-être ça parce qu’il fait froid et que j’ai mal au dos, parce que je n’ai pas eu le temps d’aller faire mon parcours spécial-dos.
J’irai demain.
Aujourd’hui ça a été C. non stop.
Au réveil, à peine ai-je mis un pied dans la cuisine que j’entends, de la chambre, un cri:
– Papa ?
Je ne réponds pas. Je fais le mort, le temps de faire le café. Le mort de café.
Mais elle n’est pas dupe.
– Papa ? Viens ! Faut que je te parle!
J’envoie maman mais ça hurle.
Bref, elle a fait un cauchemar.
J’étais parti « pour toujours ».
– Où ?
– À New York.
– Et vous ne pouviez pas me rejoindre ?
– Non. On n’avait pas les papiers.
– Et je ne pouvais pas vous rejoindre ?
– Non, tu avais aussi perdu tes papiers.
Ensuite non-stop. Crapette, 8 américains, Mastermind, piscine. Pause télé-chirashi, pendant que je prépare un rôti de porc-ratatouille pour Y. et moi.
Y. trouve que j’ai mis trop de piment.
– Mais c’est du piment d’Espelette que je lui dis, ça ne pique pas.
– Y en a trop pour moi, c’est dommage j’avais faim, qu’elle me répond, culpabilisante.
– Y reste de la soupe dans le frigo, que je réponds, non mais eh…
Ensuite, c’est de nouveau papa-papa-papa-papa…
Au bout d’un moment, je dis: on sort.
On va chez Marian Goodman voir une expo Gordon Matta Clark et on passe un moment devant les projections de bandes 16mm à regarder des vieilles images du quartier Beaubourg. J’aime beaucoup les petits dessins et les papiers évidés. Ensuite, un saut par la galerie Mitterand, juste en face, œuvres optiques de Carlos Cruz Diez. On se croirait dans l’antichambre de Pompidou. Ensuite Franprix, courses générales, chewing-gums chez le petit arabe d’ouvert, bouquins chez Colette et yoghourts glacés chez « Chacun ses goûts » avant de rentrer. Et là, j’exige la paix, la vraie.
Alors elle prends un bain et ouf, j’ai cinq minutes de tranquillité.
Vivement que le studio de Montreuil soit opérationnel.
J’ai besoin d’un bureau, d’un atelier.
Bon, je vais bouquiner.
Pris au hasard, Performances de ténèbres de Pascal Quignard.
Let’s have a look.
Juste quelques notes sur vendredi, parce que je n’ai vraiment pas eu un moment pour écrire.
D’abord, jeudi soir, j’ai une conversation téléphonique avec F.D. et ça a duré presque deux heures, parce qu’il s’agissait de visionner avec lui, sur un site internet accessible uniquement sur rendez-vous et par une seule personne à la fois, quelques séquences qui forment la partie filmique de ce qu’il appelle « J’ai mis 9 ans à ne pas terminer ». C’était long, dense, parfois fatigant ou tordant mais il m’en reste surtout cette idée d’un carrefour où l’on tourne, tourne, tourne, sans jamais se décider à emprunter une sortie. Pour moi, cela ramène à l’image des dés que l’on garderait éternellement en main au lieu de les jeter.
Et après, il y a une telle tempête que je ne peux pas dormir et j’écoute la radio jusque vers 3h du matin.