LES AMÉRICAINS

Aujourd’hui avait été jour de grand nettoyage à la maison. Vaisselle, aspirateur, lessivage des sols, rangements, repassage. Je vois qu’il me faut des espaces de rangement supplémentaires pour la cuisine, des plaques à induction, consolider le support de l’évier, changer la robinetterie de la salle-de-bains, changer le flexible des toilettes, qui fuit, équiper le salon d’un meuble à tiroirs et à étagères pour livres, documents et objets, faire l’acquisition d’un écran pour regarder des films sans se tordre le cou, louer un perforateur béton pour installer les étagères des toilettes, etc. 
J’attendais pour ce faire que les chantiers de l’été s’avèrent et ils s’avèrent et je vais donc pouvoir investir.

Joie, allégresse, actions de grâce.

En ce moment, avec R., on regarde (pour moi c’est une re-vision) Les Soprano depuis la saison 1. Vu notre rythme, on en a pour un bon moment, parce que l’on tend à s’endormir devant si d’aventure on les regarde le soir. C’est aussi parce qu’on les regarde sur le petit écran du Macbook et qu’il faut donc être couché sur le côté pour éviter de se rompre les cervicales. C’est toujours aussi bien, les Soprano, même si je n’ai pas la surprise de la découverte. 

Hier nous étions allés, en compagnie de C., pique-niquer aux Buttes-Chaumont et il y avait ce jeu, Buddha, apporté par R., qui consiste à tracer des formes avec de l’eau sur un panneau, qui redevient blanc en séchant au soleil. On avait joué aux cartes mais les cartes s’envolaient avec le vent. Le rhume des foins ne me quitte pas. Ensuite, nous étions allés à la piscine, mais R. en avait été privée en raison d’une panne de la machine à distribuer les maillots.
On s’était retrouvés ensuite à la maison pour un tournoi de Yams en mangeant de la pastèque.
On avait bu de la bière belge, rapportée de Bruxelles par R., pendant que C. s’était empiffrée de cerises. On l’avait déposée à Rambuteau avant de partir à pied à la recherche d’une terrasse hospitalière au soleil. Nos pas aléatoires nous avaient menés à celle du Plomb du Cantal, à Strasbourg Saint-Denis, où nous avions commandé un 25 cl de Gerwurzstraminer – ce qui n’est pas normalement autorisé « en limonade » mais nous fut exceptionnellement accordé après que nous eussions fait état de notre intention de déguster une saucisse fraîche-aligot ensuite, ce que nous fîmes. Avant cela, nous avions croisé tout à fait par hasard N., avec qui nous avions discuté jusqu’au coucher du soleil.
Après le dîner, solidement lestés, nous avions fait quelques pas jusqu’à la station Jacques Bonsergent où nous avions attrapé la 5, direction Hoche, puis maison.
Puis Soprano, etc.

C’était une semaine roborative, dont une bonne part consacrée au mixage du film de M.D., à l’organisation des chantiers à venir, à la recherche de thèmes musicaux pour le projet Data et à mille autres petites et grandes choses. Je n’avais pas eu le temps de faire les courses, pas le temps d’aller faire du sport, à peine eu le temps de faire mon lit. 

C’est agréable de prendre le temps de ranger.

C’était une bonne journée et un vrai dimanche.
J’attends R. et je vais peut-être déboucher une bouteille de Rasteau en préparant la cuisine.

Je me disais qu’il n’était pas utile de commenter. Qu’il fallait simplement décrire.
Décrire simplement. D’un trait. On comprenait.
Il n’y avait rien à comprendre.

Au cours de la conversation – je le note comme ça au cas où je sois amené à l’oublier – j’avais fait part à N. de ma théorie selon laquelle la seule solution pour sortir de la guerre des très riches contre le reste du Monde, inévitable en raison de la concentration des capitaux et de l’impossibilité d’une fiscalité mondiale taxant les échanges financiers, était d’abolir les héritages au-dessus d’une somme que j’évalue à peu près à quelques dizaines de millions de dollars, peut-être deux ou trois-cents, allez. Mais il fallait que cette décision soit prise par les super-riches, évidemment. Il fallait une prise de conscience. 

Ah oui, et aussi j’avais commencé à regarder la cinquième saison de « The Americans », la septième de « The Walking Dead », la deuxième de « Luke Cage » et j’avais de plus en plus de mal à m’intéresser à l’Amérique. L’Amérique avait beaucoup perdu de son talent de raconter des histoires. Beaucoup perdu de sa fraîcheur, de sa foi, de sa vigueur. Depuis les Soprano, il y avait eu une perte manifeste. Pour commencer, il n’y avait plus de personnages, plus d’humanité, simplement des fonctions et des types. Il fallait que l’Amérique se réveille, me disais-je. Ou que quelque chose d’autre que l’Amérique s’éveille, me disais-je encore. Mais quoi, me demandais-je ? Qui ? Où ?

SOYONS SIMPLES

Je ne veux pas croire que nous soyons déjà le 7 juin et c’est pourtant la triste réalité.
Le temps file comme s’il était avalé par une broyeuse géante.
Ca en fait de la poussière.
Des nuages de poussière rouge. De poussière de temps.
Et on en bouffe de la poussière.
La nuit, le jour.
On est rouges de poussière.
Rouges les bouches, rouges les yeux, les mains, les corps.
On tousse du rouge de la poussière de temps.
Et on mouche et on tousse.
C’est l’allergie. C’est le rhume des foins.
Ce matin, le métro coinçait un peu. C’était juste-juste pour l’école et un peu la cohue.
Maintenant, on sait faire: on se jette sur le wagon de queue à Porte des Lilas et on investit le couloir.
Résurgence, rémanence. 
Ensuite, un café avec R. près des Halles, dans le soleil du matin. Puis on vaque.
Montreuil. Rendez-vous mastering avec G., très sympa. On papote tout en faisant des réglages.
A. se pointe. Il est bientôt 13h. L’heure de partir, pour repasser au Pré, déjeuner d’un reste de tomates, d’un avocat, de pousses d’Alfa-alfa et d’une boîte de sardines à l’huile.
Téléphone, mails, réservation d’une carotteuse à béton, réglages divers, prises de rendez-vous, organisation, administration, puis il est temps de repartir, attraper la 5 à Hoche, direction Breguet-Sabin. Passage chez les B. pour Kant et manutention informatique.
Puis, un peu de refonte d’article en terrasse aux Halles.
Audition de piano de C.
Côtes d’agneau et crozets chez Y.
Quelques parties de rami et de Loto puis back home.
Sur le chemin, des tentes dans les talus du périph.
Des familles font des feux de camp.
C’était une bonne journée.
J’écoute E.M. en direct du Canada tout en vidant la machine et en accrochant le linge.
Demain, poursuite du mastering. Samedi, c’est C. et dimanche fin du mix M. 
Ca roule.

L’ÉTÉ DE MON CONTENTEMENT

Je me dis quoi qu’il en soit, je me dis peu importe, je me dis quoi qu’on dit, quoi qu’on dise, il faut écrire. Il faut écrire et puis voilà.
Sans se soucier d’autre chose, me dis-je.
C’est déjà suffisamment compliqué comme ça.
C’est comme la gym, m’étais-je dit. C’est toujours difficile au début. Difficile, ingrat, lourd.
Il faut passer ce premier souffle.
Continuer, ne pas se laisser happer par l’attrait du vide, la pensée du résultat, le vertige du jugement.
Persévérer. Que dis-je, mersévérer aussi bien. 
Mon devenir-Thanos, me dis-je, taquin, pour rire.
Mais on obtient, à la longue, à l’endurance, des résultats.

Et vient le moment où l’on décale des blocs de textes, où l’on supprime ceux que l’on avait laissé là un peu pour essayer, un peu en attente d’autre chose. D’autre chose qui était venu ailleurs.
Une pensée qui devait s’incarner ici s’était incarnée autrement, sans qu’on s’en soit aperçu d’abord et c’était très bien. Ce sera très bien. C’est très bien.

Que la main se contente de suivre, de précéder.
Que l’œil s’y jette de temps en temps, pour lire, pour rire.
Et l’on pourrait très bien raconter une histoire, des histoires.

Ce serait bien, des histoires, m’étais-je dit.

Cette nuit, j’avais torturé un homme dans mon sommeil et je n’étais pas fier.
D’abord, on lui avait coupé la tête.
Je dis « on » parce qu’on était deux.
On s’était occupé de la tête.
Il y avait un trou à l’oesophage par où j’envoyais de l’eau au moyen d’un tuyau d’arrosage.
Et des abeilles entraient par ce trou.
La tête, elle, parlait. Ne paraissait pas souffrir de nos mauvais traitements.
Elle toussait un peu. 
La voix était altérée.
J’avais honte.
De savoir qu’il s’agissait d’un salaud n’était d’aucun secours car j’étais pire que lui avec mon tuyau d’arrosage.
Qui était il ?
Que disait il ?

Je crois qu’il se formait beaucoup à partir de Donald Trump dont je me sens coupable de désirer la mort à chaque instant. C’est terrible de désirer la mort de quelqu’un, fut-il une ordure. Et il est un fait notoire que Donald trump est une ordure objective. Mais de là à en souhaiter la mort, me dis-je.
Ah…

Mais je n’avais pas fait que torturer, j’avais dormi aussi.
D’un sommeil paisible et rempli de joie à la re-vision (pour la vingtième fois) de Ordet de Carl T. Dreyer. Et qui n’a pas vu Ordet n’a pas encore vu un film de cinéma me dis-je.

On avait mangé un petit dahl dans un restaurant pakistanais de la rue du Faubourg Saint Denis, puis on était rentrés à Aubervilliers avec R. et on s’était mis à regarder Ordet, plus exactement nous avions terminé de regarder Ordet, commencé il y a quelque temps. Et le chat était venu regarder le film avec nous. Vraiment regarder, avec attention.

Ordet, un film qui capte même l’attention des chats.

Et puis ce matin il avait fallu partir pas trop tard pour récupérer C., manger du saumon cru pas trop loin, acheter des cadeaux d’anniversaire pour la copine L., passer au Pré, faire un shampoing anti-pelliculaire, un soin de verrues plantaires, regarder des débilités.

J’ai dit: « je te laisse trois ans de débilités et on commence à regarder des trucs intelligents ». En ce moment c’est 80% débilités et 20% trucs intelligents, à douze ans on commence à inverser la statistique. Elle avait ri, mais elle sait que je suis sérieux. Parce que les licornes et les princesses ça va un temps…

Et puis on était repartis. Tram. Métro. Rambuteau. Parc Anne Franck. Anniversaire. Bistrot. Ecriture. Et bientôt…