Oui, c’est toujours à l’ombre, à l’intérieur et masque lors des sorties. Le soleil n’est plus aussi présent, cela dit, et on dirait bien que le temps fraîchit.
Je me suis levé plus tôt, vers 7h30. Le dos est endolori mais, une fois debout, ça va. Il suffit de se lever. D’avoir confiance en nos capacités d’éveil. Nous sommes le premier juin. Mon comptable me suggère de remplir ma déclaration de TVA pour le mois de mai. Ce que je fais après un café.
J’écris à P.P. que je suis privé de sortie, en raison du rhume des foins. Plus tard, R. me dit qu’il nous propose de venir déjeuner chez eux, plutôt que d’aller pique-niquer.
Puis S. veut des crêpes, alors je fais des crêpes. Ensuite, quand les crêpes sont prêtes, je me dis que, pour aujourd’hui, je peux bien m’en autoriser quelques unes. J’écoute le début des Nuits de France-Culture consacrées à Fassbinder, mais, très vite, ça m’ennuie. Je me dis qu’il vaut mieux aller directement aux sources. Aux films, aux écrits.
Cette nuit, j’avais remarqué que le minuteur de la buanderie, qui sert à régler les heures de chauffe du cumulus, émettait un grésillement continu. Il règne un tel silence dans la maison, la nuit, que ce grésillement devient omniprésent. Je crois encore l’entendre depuis la chambre verte, au bout du couloir. Je me dis qu’il va falloir trouver un système moins bruyant. Un minuteur digital.
Les martinets commencent à s’habituer à ma présence. Tout à l’heure, alors que je récupérais du linge sec, l’un d’entre eux (je ne sais pas si c’est la maman ou le papa) s’est posé sur le fil à côté de moi et s’est balancé doucement. Ne voulant pas le laisser prendre trop ses aises – et surtout pour éviter trop de fientes – j’ai siffloté pour le faire déguerpir.
Je commence à en avoir un petit peu marre de David Lynch, après avoir revu hier Mulholland Drive, je me suis dit que ça allait bien comme ça. Mais je vais tout de même boucler l’affaire avec Inland Empire, dont je n’avais pas supporté plus de 15 minutes, la première fois. En revoyant les films après avoir lu la bio, j’en saisis mieux les intentions (en particulier scénaristiques) et cela fait un peu mieux « tenir » les morceaux, comme une espèce de ciment théorique. Ça ne change rien à la perception. Ce qui me plaît bien, c’est la tendance Buñuel de la direction d’acteur. Ce que je n’aime pas c’est l’hystérie, le drama, la surenchère, les explosions de violence. Ce qui emporte tout de même l’adhésion, malgré toutes les faiblesses, c’est le caractère absolument enfantin de toute l’œuvre et du personnage.
Un couple de martinets a fait son nid sur une ampoule dans la chaufferie. Les œufs sont plus petits que des M&M’s. A chaque fois que je dois entrer dans la pièce, pour prendre une douche, pour accrocher ou décrocher du linge, je sifflote sur le pas de la porte et les oiseaux s’envolent.
Uranus a repéré le nid, mais elle ne peut pas vraiment l’atteindre. Cela dit, les oiseaux ne sont pas rassurés de voir un chat tourner autour de leurs œufs et ils piaillent à qui mieux mieux.
Jeudi, j’avais commencé à débroussailler avec le rotofil, mais j’ai mal remis la tête, après avoir changé le fil, et le ressort a sauté. Je l’ai cherché en vain dans les bosquets. Alors je me suis dit que j’allais tondre le gazon. Et hop, j’ai voulu démarrer la tondeuse mais le lanceur m’est resté dans la main. La ficelle s’est rompue. Je n’arrive pas à démonter la tête, même après l’avoir aspergée de dégrippant.
Alors j’ai commandé un ressort de remplacement et une nouvelle tondeuse à gazon, électrique celle-là, de la même marque que la débroussailleuse, ce qui permettra d’utiliser les batteries de l’une sur l’autre.
En débroussaillant, des projections végétales ont atteint mes yeux et mes narines et bientôt j’ai un œil totalement rouge et mon nez se met à couler comme un robinet ouvert.
Depuis, je suis la proie d’une crise d’allergie violente, qui m’interdit de sortir sans masque pendant la journée. Je reste à l’ombre pendant que R. et S. vont se balader. Le temps est splendide. Il fait 30°C. Mais le pollen vole et m’est un poison.
Les cerises sont presque mûres. Le week-end prochain, nous en mangerons, si les oiseaux nous en laissent.
Cette nuit, j’ai rêvé que je devais aider une japonaise assez âgée à faire fonctionner sa guitare électrique. Curieusement, la première idée était de lui construire une sorte de structure de poulies sur laquelle les cordes de la guitare venaient se tendre. Je me disais que ça allait être compliqué et que ça ne fonctionnerait certainement pas et me mettais à parcourir la ville à la recherche d’un pré-ampli. Et pendant tout ce temps, il y avait un sac en papier kraft qui me regardait d’un air menaçant.
C’était l’instant « Blow up » de la journée, cette promenade dans le parc, à la recherche de la Super Galerie, où J.Y. expose. Et je la trouve enfin, après une enquête à travers les allées. Il y règne un curieux mélange d’ambiances. Je sens les pollens qui attaquent, alors je ne m’attarde pas. Mais c’est un endroit agréable et propice aux méditations.
Avant, j’avais fait mon plus grand parcours Bla Bla Car, d’Aubervilliers à Nantes. Quatre passagers en tout. Deux au départ, à six heures. Un qui a pratiquement dormi ,dans la rue devant la maison, de 3h00 à 6h00 du matin, et qui sort au Mans. Son pseudo c’est « M. le premier ministre ». Un qui entre et le remplace. Un qui entre un peu plus loin, dans la cambrousse. Un qui sort à Angers et, enfin, l’arrivée à Nantes.
Bonne conversation avec Q., qui est photographe et spécialiste des questions environnementales. On ne sent pas le temps passer. A la radio, il était question de meurtres, avant les infos de 6h30. Je me rends compte que je raconte tout dans le désordre. La journée revient dans le désordre. Je vais écrire un petit bout de phrase ici, puis je remonte compléter un paragraphe un peu plus haut, puis je retourne un peu plus loin, etc.
Le moteur vibre de plus en plus, lorsqu’on roule entre 60 et 75 km/h. En ville ce n’est pas formidable. Il faut vraiment que je fasse remplacer la suspension du bloc moteur.
Et, ce soir, c’est le départ vers P*** et j’ai à nouveau trois passagers, qui doivent me retrouver à la terrasse d’Askip, devant l’école des beaux-arts. Et, justement, il y a une odeur insoutenable (au bon sens du terme) à la terrasse d’Askip, juste là maintenant. Je demande à P. ce que c’est. C’est une omelette, qu’elle me répond. Elle y met des herbes. Là, elle a mis plein d’aneth.
Il y a des journées comme ça. C’est le pont de l’Ascension, d’où cette affluence de passagers Blabla Car. Ce soir je serai à la maison et demain, ou au plus tard vendredi matin, R. et S. me rejoignent par le train de Poitiers. Demain matin, état des lieux avec S.N. et j’attaque les travaux de remise en ordre, avant l’arrivée d’un hôte Air Bnb qui doit rester un mois, à partir du 8 juin.
Et, sinon, après un repas régressif (hamburger classique et verre de Belloc), c’est notre dernière séance de travail au studio avec A.C. J’entends chanter Eddy Mitchell. Snif.
On ne peut pas dire que je sois beaucoup sorti aujourd’hui.
Après avoir déposé S. à l’école (hurlements ce matin pour obtenir qu’il mette ses chaussures), je rentre et me colle au montage son des films AMU. Il faut qu’on se mette au point avec C. pour que les paroles n’arrivent pas sur des actions sonorisées. J’appelle S.L. pour qu’on organise une rencontre bientôt.
Ensuite, musique. Je teste des trucs. Mais pas facile. Ça cause tout le temps. Pas moyen de vraiment développer un thème.. Je ne sais pas encore trop quelle va être la stratégie. J’ai enregistré un morceau en cinq stems et je vais essayer de jouer avec demain.
R. a reçu ses évaluations qui sont excellentes et elle a pris des bulles (Proseco) pour fêter ça. Alors on fête.
Vers 16h, voyant qu’il faisait beau je me suis dit que je n’allais pas passer ma journée sur cette chaise à monter des sons et qu’il était temps de sortir.
Je me suis dit que ça faisait un moment que je n’étais pas allé faire un tour au Palais de Tokyo et j’ai dirigé mes pas dans cette direction.
Malheureusement, tous les espaces d’exposition de Palais de Tokyo sont en cours d’installation en même temps. Ce n’est pas très malin de leur part. C’est même complètement idiot, me disais-je. Et pourtant, il y a du monde, me disais-je. Il y a donc des gens qui viennent ici boire un verre, me disais-je. Quelle idée, me disais-je. Moi aussi, je vais boire un verre, mais pas ici. Surtout pas ici.
Oui, mais où ? Après avoir arpenté en tous sens les rues et avenues adjacentes, force me fut de constater qu’il n’existait pas d’autre endroit où prendre un verre dans ce quartier un dimanche après-midi.
Quel quartier épouvantable, me disais-je. Moi qui avait envie, justement, de m’installer à une terrasse avec un café pour lire mon livre, me disais-je.
De dépit, j’entrai au musée Guimet. La dame à la caisse m’a gentiment accordé la gratuité, bien que je n’y eusse normalement pas droit. Pas strictement.
Ensuite, je passais des heures délicieuses à rêvasser devant des statues tranquilles et des objets élégants. J’y notais des idées de coloris et de matières pour des panneaux acoustiques (section coréenne), des idées d’accrochage et de scénarios (section japonaise). J’y notais également la présence d’un restaurant qu’il faudrait essayer. La terrasse, malheureusement, était fermée.
Et je me dis que je fais des posts trop longs. Il faut être plus synthétique.
Pas de repos pour les braves, même le samedi, parce que ce matin, à 6h50, S. a de la fièvre, encore. 40° C et mal aux oreilles. Je prends rendez-vous chez le médecin pour 9h30.
On petit déjeune en discutant crotales. C., qui dormait là, est aussi tombée du lit vers 7h00 et on se réveille tous les trois en douceur. R. est allée enseigner la philosophie aux confins du département.
On quitte tous les trois l’appartement à 9h00. C. rentre chez elle pendant qu’on file vers le centre médical de Rosa Parks. On arrive en avance mais le docteur nous reçoit immédiatement et on reste, montre en main, cinq minutes dans le cabinet. Diagnostic: otite de l’oreille droite et gros rhume. S. se voit prescrire des antibiotiques très mauvais à administrer sous forme liquide au moyen d’une pipette et je me dis déjà que ça va être une tannée.
Ensuite, on va prendre un café et un chocolat en attendant l’ouverture de Boulanger, où nous achetons une carte micro-SD pour l’appareil photo de S. et chez King Jouet où nous achetons une petite mygale très jolie.
On rentre et on regarde Les aventuriers de l’Arche Perdue, jusqu’à la fosse à serpents, après quoi c’est antibiotiques (avec moult cris, hurlements, pleurs, stupeur et tremblements) et déjeuner.
On se réchauffe les travers de porc de la veille, puis S. fait définitivement passer le goût des antibiotiques avec une glace à l’eau multicolore.
On ne peut pas toujours faire des photos, me disais-je en constatant l’absence d’une nouvelle prise de vue dans la bibliothèque du téléphone transportable depuis mon passage à Boulogne mardi.
Il y a des jours sans pulsion scopique, me dis-je. On peut dire ça, me dis-je. Enfin bref.
Que tout cela ne m’empêche pas de noter qu’au cours des deux derniers jours à Nantes, j’ai, successivement – et tour à tour – travaillé avec S.B. sur le montage sonore du film de son incendie dans la nuit, déjeuné avec M.G., C.M. et V.G., au Nakama, d’un chirashi et ses accompagnements non optionnels, d’un verre de Grenache, d’un gâteau aux amandes et d’un café, puis à, partir de 14h, j’ai aidé S.D.B. à enregistrer et à monter une voix off, installé des logiciels avec M.L. à 16h15 avant de reprendre à 16h45 le travail commencé avec S.B. le matin, puis, à partir de 18h et du pollen, de terminer le montage / mixage de la B.O. d’A.C., avec qui nous allons boire un verre, au même Nakama, sur le coup des 20h30, une fois nos travaux achevés.
On papote agréablement dans la fraîcheur du couchant avant de rentrer, qui chez elle, qui dans sa studette numéro cinq, chargé de deux bouteilles d’eau achetées in-extremis au Carrefour Market. Premier jour.
Fin du premier jour.
Deuxième jour: à 8 heures, un café et des viennoiseries à La Maison. Je ne peux plus. Ni la Maison, ni les viennoiseries. Ce n’est plus possible. Il faut que je m’organise autrement. Que je fasse l’emplette d’une Bodum et que je fasse des courses pour me préparer un petit déjeuner digne de ce nom.
À 8h45, au studio. Je continue à monter du son pour S.B. et j’arrive à un truc pas mal. M.L. débarque. Me montre son montage. On en parle. On analyse. On définit des opérations amélioratives.
S.B. arrive vers 11h. Le montage lui va bien. M.G. fait des remarques en passant. Il trouve qu’il faut ajouter des passages de voitures. Alors on ajoute des passages de voitures et c’est tout de suite mieux. C’est tellement bien qu’on mixe.
Et hop, je file à mon déjeuner avec P-Y.A. On discute des projets pour l’année prochaine. En discutant on mange. Lui, un sandwich, moi une salade César. On est au Paws.
Je parle plus que P.-Y. et donc il mange son sandwich plus vite que je ne mange ma salade. Alors je me tais. Je mange ma salade, pendant qu’il parle et je rattrape mon retard. Alors il se tait et se remet à manger son sandwich et je me remets à parler, tout en mangeant ma salade. J’en fait tomber sur mon t-shirt. Ah, merde! C’est ce qui arrive lorsqu’on parle en mangeant, me dis-je. On papote, on papote. Je dit « on papote » mais c’est constructif. Ça vole haut. C’est du lourd. Et puis on regarde l’heure et on fait « Oh! ». Il est 13h55 et on a tous les deux des rendez-vous à 14h.
J’arrive à 13h59 en haut des marches à la hauteur de J.Z., qui arrive en même temps à notre réunion.
La réunion, avec les étudiants de M2, est vite pliée, avec beaucoup d’efficacité et de savoir-faire, grâce à M.G. et C.M., qui connaissent toutes les ficelles d’un diplôme bien organisé sur le bout des doigts. Quelques points de détails avec M.K. et je vais travailler avec E.H. sur son projet vidéo. Le son est bien, mais son picture in picture, ça ne va pas. On travaille à un truc plus organique dans After Effects. Mais E. en a marre des ordinateurs pour la journée et ça tombe bien parce que N.M. arrive pour qu’on parle ensemble de son mémoire et c’est l’occasion d’aller prendre un café et des ballons de foot dans la gueule à la terrasse d’Askip.
On discute de manière très constructive jusqu’à 17h50, puis il est temps de rassembler mes affaires et mes esprits pour aller attraper le tram et rentrer. Dans le train, je regarde « Creators of shopping Worlds » de Harun Farocki, puis le début de « Promise Land » de Gus Van Sant.
Autant il y a des raisons de se lamenter, de se prendre la tête entre les mains pour pleurer, me dis-je, autant il y a de bonnes raisons de se réjouir et d’espérer, me dis-je encore. Dans la vie faut pas s’en faire, me dis-je. Moi, je ne m’en fais pas, pourrais-je ajouter. Encore que ça dépende des moments. Mais là, maintenant, à l’instant t, non.
Et pourtant, les allergies repartent comme en quarante. Je viens de prendre un antihistaminique et je dois me lever à cinq heures. Eh bien, même ça, non, n’arrive pas à entamer ma bonne humeur-meur-meur-meur-meur…
Et qu’avais-je donc fait de si merveilleux aujourd’hui ?
Bah, pas de quoi fouetter un chat. Pas de quoi rappeler ses parents la nuit. Pas de quoi gifler un pape. J’avais accompagné S. à l’école, puis j’avais un peu travaillé sur les plans pour A.B., tout en écoutant une master class de l’acousticien J.H.B. et puis j’avais vu que l’heure tournait et qu’il était temps d’aller chercher K. pour notre rendez-vous chez A.B. Je roulai dans les petits embarras de ce quartier du Pont Cardinet, pris en charge K., pendu au téléphone à propos de tables de mixages SSL ou NEVE, de câbles, de disques durs SSD et toute cette sorte de choses. En papotant, bien sûr, je rate la sortie vers Boulogne et je file sur Versailles. D’où quatorze kilomètres excédentaires.
La voiture vibre de manière inquiétante, surtout lorsqu’on est en sous-régime autour de 65-70 km/h. Probablement une fréquence de résonance. Je crois que c’est le basculeur-moteur qui doit être remplacé. C’est, du moins, ce que prétend le garagiste de Thouars et je n’ai pas de raison de mettre en doute son jugement éclairé sur cette question.
La maison de A.B. est un petit paradis mais il en est chassé par de tristes querelles de voisinage. On visite le studio actuel pour penser le studio à venir.
A 13h30 me voilà repartu.
Back home en mobile home, je me réchauffe les pâtes chinoises de l’autre jour et j’essaye de me mettre à travailler, un peu comme le Van Gogh de Pialat essaye de manger sa gratinée. A chaque fois, il y a un truc qui m’empêche de m’y mettre. Une fois, c’est une demande sur Airbnb, une fois c’est une conversation avec R., une fois c’est le chat qui réclame à manger, une fois, c’est sa caisse qui pue et qu’il faut vider, désinfecter, nettoyer, remplir de nouveau, une fois, c’est le sac poubelle qu’il faut descendre, une fois c’est encore autre chose et puis enfin, quand je m’y mets, je m’aperçois qu’il est 16h50 et que je dois aller chercher S. C’est pas une vie. Ben si, c’est une vie, ducon. Hé ho, soyez courtois.
En buvant mon café, je me disais, tout de même, que ce qui fait obstruction à un réel investissement spectatoriel dans les films de David Lynch c’est que la logique de fonctionnement de l’univers décrit est sans cesse bouleversée. Elle n’est jamais fixée et établie une bonne fois pour toutes. Alors, tout est possible et plus rien ne dépend réellement des choix opérés par les personnages en connaissance de cause. Tout est suspendu à l’arbitraire d’une loi inconnue et qui change perpétuellement. Il n’y a plus de consciences agissantes. Ou bien c’est que l’agentivité est tellement étendue à tout et n’importe quoi qu’au bout du compte rien n’agit. Ne reste que la poésie visuelle et la joie de l’idée de mise en scène. C’est déjà pas mal, me dis-je. À défaut d’une idée du Monde, il y a une idée du cinéma, me dis-je. Et ça se fait rare, me dis-je.
Et en mangeant ma tartine de jambon, je me disais aussi qu’aujourd’hui je me passerai de fromage. Et il faisait toujours aussi frais, même s’il faisait de plus en plus beau.
Hier, j’avais tourné et retourné le plan du studio de A.B. dans tous les sens et il y a, à mon avis deux grandes options possibles. Nous en parlerons demain, normalement. J’envoie ça aux mails de ce matin et hop.
Pour l’heure, un peu de gymnastique et puis, ouste, dehors. Je suis resté enfermé toute la journée d’hier. Ça suffit comme ça. Je vais déjeuner avec mon bro et puis me balader un peu, avant d’aller chercher S. à l’école à 17h.
Parce que, paraît-il, c’est ce soir et que, de toute évidence, nous ne regarderons pas. Au lieu de cela, nous nous sommes réveillés autour de huit heures et j’ai eu la joie de constater que l’écran de mon ordinateur portable n’était pas fendu en deux et cintré mais bel et bien intact. Dans mon rêve, un vandale avait détruit le portable et je devais en acheter un autre, sauf que les prix des machines avaient terriblement augmenté et qu’un portable coûtait désormais la modique somme de trente mille euros.
Bref, S. hurlait « Papa! Papa! », alors je hurle: « S…! S…! », alors il hurle: « Viens ! Viens! », alors je hurle: « Non, toi, viens! », alors il hurle: « Non, toi! », alors je hurle: « Dans cinq minutes! », alors il hurle: « Non, maintenant! », alors je hurle: « Non, maintenant, je fais la grasse matinée ! Dans cinq minutes! », alors il hurle…etc.
Au bout d’un moment, je le rejoins et lui explique que ce n’est pas une bonne manière de commencer la journée, que ça met une pression inutile, que cela crée une tension, qu’il n’est pas handicapé, qu’il a des jambes, qu’il peut se lever et venir de lui-même me rejoindre, qu’il n’a pas besoin que je vienne le chercher, que personne n’aime obéir à des ordres, etc.
Il n’en croît rien.
Alors au bout d’un moment l’on se bat et l’on se fait des chatouilles. Mais, au bout d’un moment, il commence à donner des coups de pieds, alors, au bout d’un moment, je lui dis que ce n’est pas possible et que je vais aller me faire un café, alors, au bout d’un moment, il me dit qu’il arrête, mais, au bout d’un moment, il recommence, alors, au bout d’un moment, je me lève et je vais me préparer un café.
Je mélange la fin du café italien, que j’aime bien, avec un peu du café sud-américain, que je n’aime pas et ça donne un café que je n’aime qu’à moitié, mais j’aime encore moins gâcher du café en jetant celui que je n’aime pas. Je me demande si c’est une philosophie de vie valable. Je réfléchis à ça en faisant griller une tartine, que je mange avec du beurre et du jambon. Et puis j’ai encore faim, alors j’en prépare une autre. Et puis je mange encore un yoghourt aux mangues avec deux cuillerées de psyllium blond et je bois un café. Et puis j’écoute la radio. Et c’est l’émission de Finkielkraut. Et il y est question des dégâts que provoque, sur le système cérébral d’un enfant, l’exposition aux écrans. C’est terrible. Ça fait des ravages. Ça fait froid dans le dos. Et il y est encore question de la complicité des géants de la technologie avec les idéologies d’extrême droite. Et il y est aussi question du danger né de la confiscation de l’éducation par ces idéologues d’extrême droite technologiques. Et puis je me dis que ça fait un petit moment que je n’entends plus S. hurler. Ni même parler. Ni même bouger. Je me demande s’il s’est rendormi. Mais non. Il est assis dans son lit et attend que je vienne le chercher. Il me dit qu’il ne bougera pas tant que je ne viens pas le chercher. Qu’il ne se lèvera plus jamais, tant que je ne viens pas le chercher. Et je lui dis que ça tombe bien alors, puisque justement je suis venu le chercher. Alors je le prends dans mes bras mais il me dit qu’il veut aller chercher son Guy. Je lui dit que j’irais chercher son Guy plus tard. Mais il me dit qu’il va aller le chercher lui-même. Et il va le chercher.
Et puis je lui demande ce qu’il veut manger. « Rien », il me dit. Je lui demande s’il veut manger un œuf dur avec de la mayonnaise. Il me dit « oui ». « Avec une lichette de cheddar », il me dit. Je lui dit qu’il n’y a pas de cheddar mais qu’il y a du camembert. Alors il est d’accord pour du camembert. Il a rêvé de hot-dogs et voudrait en manger à midi mais pour midi j’ai prévu des travers de porc caramélisés alors nous nous mettons d’accord pour prendre des hot-dogs au goûter.
On regarde la fin de Tarzan, le dessin animé de Walt Disney de 1999 et S. n’est pas content parce que ça ne se finit pas comme il pensait que ça devait se finir. Je lui dis qu’il avait dû voir la deuxième partie ou bien une autre version. Je ne sais pas trop ce qui le dérangeait à la fin, parce que je me suis levé pour répondre à ma mère, avec qui il faut hurler au téléphone parce qu’elle n’entend pas grand-chose. Alors je m’éloigne, pour éviter de déranger S. avec mes hurlements et aussi parce que tout bruit environnant est susceptible de déranger ma mère. Elle me dit qu’il y a toujours comme un grésillement autour de moi. Alors qu’il n’y a rien et que la réception est parfaite. « Il n’y a qu’avec toi que ça me fait ça », me dit-elle toujours. Comme un fait exprès. Et puis, bon, on discute, on discute et entretemps le film se termine. Donc la fin, qui dérange tellement S., m’a échappé.
Ensuite S. veut peindre. C’est très bien, je lui installe une table de peinture dans sa chambre pendant que je prépare la cuisine. C’est idéal. On peut chacun se concentrer sur ce qu’on a à faire. Lui, de la peinture, moi, de la cuisine. C’est comme ça que c’est le mieux. Quand chacun est concentré sur ce qu’il a à faire.
Alors que je viens de mettre les travers de porc à cuire, R. rentre. On déjeune tous les trois et S. exprime le désir d’aller voir des squelettes à la galerie de paléontologie du Jardin des Plantes. Alors R. réserve des places et on y va après avoir déjeuné. J’ai tout de même le temps de faire un peu de gym et de prendre une douche. On n’est pas aux pièces.
La Gare d’Austerlitz est toujours en travaux. J’ai toujours connu la gare d’Austerlitz en travaux. Il y a 35 ans, quand j’y habitais, elle était déjà en travaux et cela n’a pas cessé depuis. En fait tout le quartier compris entre le pont d’Austerlitz et le boulevard Saint-Marcel est perpétuellement en travaux depuis plus de 30 ans. Ça ne s’arrête pas. C’est comme une malédiction. Comme un trou dans l’espace-temps. Il faudrait faire un film là-dessus.
Donc nous traversons les chantiers, les ruines, les démolitions, pour aller du métro au musée. On s’attarde maintenant davantage au rez-de-chaussée. Pour les serpents. Il y a une tête de crotale Cascabelle dans du formol. Et un fer-de-lance entier, juste à côté.
J’ai mis un masque, à cause du pollen et je reste sur un banc à l’ombre, pendant que R. et S. se baladent au soleil. Je reste une petite heure à méditer sur le banc, en me disant que je devrais apprendre un mantra, pour au moins méditer correctement. Au bout d’une heure, j’en ai un peu marre de méditer alors j’appelle R. pour dire que je rentre, que je suis fatigué, que ma batterie est à plat et que je les attends à la maison. Puis je rentre. À 17h50 j’arrive à la maison. Je me fais un café, j’accroche le linge au sèche-linge et je regarde le 18ème et dernier épisode de la 3ème saison de Twin Peaks. Je ne me souvenais pas du tout que ça se terminait comme ça. Et d’ailleurs, ça ne se termine pas. C’est exactement ce qu’il fallait.