
Et c’est ça le paradoxe, confiais-je à Éléonore Bartholdi (les noms ont été changés) cet après-midi devant la machine-à-café.
Je précise que je parle de la machine à café du hall, qui – selon certains (je n’irai pas jusqu’à balancer des noms, fussent-ils changés) – produit un meilleur café que la machine située sous l’escalier en face de l’atelier bois. Par la suite, par coquetterie littéraire, j’écrirai « en face l’atelier bois » parce que j’aime cette formulation, tout en la supposant fautive.
Le fait est qu’il est plus cher, le café de la machine du hall.
Je n’arrive pas à décider s’il est meilleur que celui de la machine en face l’atelier, qui, lui, est moins cher.
En tout cas, il n’est pas pire, le café de la machine du hall. Pas pire que celui de la machine à café en face l’atelier.
Mais est-il pour autant meilleur, le café de la machine du hall ?
Meilleur au point de le payer sensiblement plus cher que le café de la machine sous l’escalier en face l’atelier ?
D’aucuns, dont je tairai le nom, le prétendent.
Je n’ai pas d’avis tranché mais aucune raison de mettre en doute la bonne foi de ceux qui prétendent que tel est bien le cas, c’est à dire que le café de la machine située dans le hall est effectivement meilleur, bien que plus cher, que celui que l’on obtient à la machine à café située sous l’escalier, en face de l’atelier bois et même qu’il est à ce point meilleur qu’il est hors de question d’aller chercher son café sous l’escalier alors qu’un café sensiblement meilleur et pas tellement plus cher peut être obtenu dans le hall.
On m’a confié récemment que certains seraient prêts à se priver de café lorsque la machine du hall est temporairement indisponible, plutôt que de s’abaisser à aller chercher un café inférieur sous l’escalier.
Je ne partage pas ces scrupules et il m’arrive souvent d’aller chercher mon café sous l’escalier, alors même que quelques pas seulement me permettraient d’atteindre le hall et un café supposément supérieur.
Mais mon indifférence à l’égard de la supériorité supposée du café du hall et la plus grande proximité de la machine sous l’escalier, située à un jet de pierre du studio son, qui est mon antre habituel, font qu’il m’arrive plus souvent qu’à mon tour, de préférer à la machine du hall, celle située sous l’escalier, bien que celle-ci soit regardée avec mépris, pour ne pas dire avec consternation, par certains.
En parlant de café, je dois confier ici que ce matin, alors que je m’apprêtais à entrer en contact télématique avec Rhonda Hong, Witold Potladzj (les noms ont été changés) est soudain apparu sur le seuil du studio pour me proposer, avec beaucoup de gentillesse (il y a toujours beaucoup de gentillesse, de déférence et de courtoisie dans tout ce qu’entreprend Witold), de goûter, s’il m’arrivait d’en boire et si cela pouvait m’être agréable, un café de sa production personnelle (pas le café lui-même, mais le breuvage résultant de son immersion dans l’eau chaude au moyen d’un appareillage ad hoc).
Il me confia qu’il venait de nettoyer à fond la cafetière et qu’il la testait.
Il me proposait ce café à titre expérimental et, comme je lui fis part de mon accord complet et même de ma très grande gratitude à l’endroit de son adorable proposition, il me l’apporta sur le champ, pour ne pas me retarder, dans une jolie tasse de porcelaine, posée sur une petite assiette faisant office de soucoupe géante.
Il précisa que le café était de la marque « Carte Noire » et que le paquet avait été acquis par lui auprès de l’enseigne Carrefour City pour la somme à peine imaginable de 6,80 €.
Ou bien était-ce 6,50 ?
En tout cas un prix prohibitif. A mettre au compte du réchauffement climatique, selon lui.
Mais je m’égare.
Le paradoxe, donc, disais-je à Éléonore, c’est que j’ai la méga-super frite et qu’en même temps je suis quasiment au bout de ma vie.
-En somme, me dit-elle, c’est la forme au niveau psychique et la ramasse au niveau physique ?
-C’est exactement ça, je réponds.
-Moi c’est le contraire, généralement, qu’elle me dit.
-Ça c’est pas chouette, que je réponds
-Pas top, non, qu’elle acquiesce.
-On devrait pouvoir faire du troc, je suggère.
Là-dessus la conversation semble s’épuiser et il est temps d’aller voir un peu les travaux des étudiants de M1 des Formes du Réel.
Et je dois dire qu’on n’est pas déçus du voyage, même si on termine sur les genoux.
Comme il pleut, je propose à Nicole Barnum et Virginie Desmonts (les noms ont été changés) de les déposer à la gare où elles ont des trains à prendre.
En route, je reçois l’appel d’Emmanuel (le prénom est le vrai), un de mes co-voyageurs Blablacar et je me souviens soudain que j’ai deux co-voyageurs et que j’aurais pu les oublier tout bonnement.
Heureusement, grâce à ma proposition philanthropique, j’ai juste le temps de repasser par l’école pour cueillir mes deux co-voyageurs. Ouf !
L’on est récompensé de ses bonnes actions.
En voiture on papote avec Manu. Je dis Manu mais l’on se donne du « vous ». Manu est psychologue du travail et s’occupe en particulier d’entrepreneurs et de travailleurs agricoles. À un moment il est question du commerce de l’angoisse et de l’anxiété dont nous convenons qu’il s’agit d’un produit très efficace pour maintenir captive en situation d’isolement l’attention d’un public terrorisé, alors que les contenus positifs et reconstituants portent ce même public à s’écarter des écrans pour vivre cette vie exaltante soudain promise.









