EN CELLULE

Dans la studette n°7 de l’école des beaux-arts de Nantes, il fait bon.

Les fenêtres ne s’ouvrent plus et la porte menace de lâcher, comme déjà celle de la studette n°4 dernièrement (et celle de la n°3 plus anciennement).

Mais il fait bon et les draps sont propres.

J’aime ma cellule, j’aime ces soirées en cellule. 

Un temps hors du temps. A boire des litres d’eau, en regardant un début de série sur Netflix, puis un autre début de série sur Disney plus et encore un autre sur Apple TV + et puis, non, finalement, lire un peu.

Et puis non, écouter la radio.

Et puis s’endormir en écoutant la radio. 

On est au cirque, me suis-je dit, repensant aux dernières frasques du Père Ubu. Le cirque de Donald Ubu, le Père. Le pitre, le bouffon, le clown.

On est dans une bouffonnerie tragique, me suis-je dit.

Ce n’est même plus la peine de s’inquiéter, on y est.

Autant faire autre chose, me suis-je dit. Autant ne pas se faire de mouron. 

Le sosie de Brad Pitt, dit Arsène Lupin, fait des annonces comiques à l’instant. 

HERE OUIGO

Il y avait une population bruyante dans le Ouigo de 7h44.

J’avais mis mon casque pour travailler à un montage son, mais, même avec le casque sur les oreilles, j’entendais encore piailler et pépier. J’entendais des vidéos Youtube et des youyous et des hourrah et des youpi…

Cela ne dura, heureusement, que jusqu’à la gare du Mans, où toute la joyeuse bande descendit et s’éparpilla pour ma plus grande tranquillité. Ensuite, je regardai un bout du Journal d’une Femme de Chambre de Buñuel. 

— Les vieux films, y a que ça de vrai, me lança le contrôleur en voyant que je regardais un film en noir et blanc.

J’avais ensuite retrouvé T. et S. à l’arrêt du tram et l’on était joyeusement allés, en bande, jusqu’à l’école ou A. m’attendait pour le mixage de son mémoire sonore.

Nous avons travaillé jusque vers 13h20, puis, le temps d’avaler une soupe et un bol de légumes chez « Délicates et saines » j’avais retrouvé T. pour un workshop tournage, entrecoupé d’une incartade dans l’accrochage des M2 Formes du réel.

Avec la situation image, nous tournons quelques plans dans la cuisine.

A 18h, je retourne au studio où me rejoins A. pour avancer encore sur ce mixage jusqu’à 20h30. 

Et me voila de retour en cellule avec mes deux bouteilles d’eau, puisque, le soir, je jeûne.

ALABAMA

Très bien, je vois. Le choix de carte est… La Reine des Ombres. Et tu avais choisi de savoir ce qui se cache dans ton cœur… 

Il y a quelque chose qui reste caché ici, que tu ne montres à personne, même pas à toi-même. Mais, peu importe tes raisons, cela doit être révélé et accepté.

Le Huit de Coupe représente la fin d’un cycle émotionnel et le début d’une nouvelle étape.  La Dame de Bâton représente la flamme créative, passionnée et confiante. 

C’était un dialogue un peu stérile avec une IA, dont je sentais que son objectif était mon confort mental. Mais, s’agissant de John Coltrane et de ce morceau, Alabama, mémorial à des fillettes assassinées dans un attentat perpétré par le Ku Klux Klan, je remarquais que toute référence à cette organisation, y compris sous la forme des seules initiales, déclenchait immanquablement la réponse stéréotypée: « Racism is despicable. I would never stand with organizations that promote hate towards people based on their race. »

Mais ce n’était pas si grave, c’était le fonctionnement. Il fallait trouver des biais pour que ce fonctionnement puisse activer des fils d’écriture. Et pour l’instant, déjà, il me fallait mettre en place un cadre, une structure, une discipline.

Pour l’instant, il est l’heure d’aller chercher S. à l’école.

CACHE MORT

Cette nuit, vers 4h du matin.

Nous sommes à Lille. Je ne sais plus pourquoi nous sommes à Lille mais nous y sommes. Il y a de petits passages, avec des restaurants. Beaucoup de victuailles, des charcuteries, sur les tables.

Je dis: « Lille, c’est une ville de restaurants. Ce sont surtout les restaurants qui me manquent depuis que je ne viens plus régulièrement à Lille ».

Des gens déjeunent aux terrasses. 

La ville est en chantier. La ville n’est que chantier. Charnier, chantier.

Des immeubles industriels s’effondrent, tombent en poussière. On reconstruit des bungalows, en planches rouges. Tous sur le même modèle. Des dizaines, des centaines de bungalows rouges aux toits sombres, à double pente. Avec des terrasses, des balcons, des gardes-fous.

On dirait un gigantesque marché de Noël.

On se croirait en Bavière.

Ce sont de grands travaux, qui vont redessiner la ville et l’activité culturelle. Bientôt, il n’y aura plus rien d’autre que ces bungalows, des ruines et des taudis.

A un moment me vient l’idée de rendre visite à l’école de Tourcoing et puis, finalement, je me dis non. Non, décidément, non. Mauvaise idée. Je n’ai pas d’amis là-bas. Plus d’amis là bas. Personne ne sera content de me voir et je n’ai personne à y voir.

Et je me demande pourquoi nous sommes venus.

Il fait froid.

Des corps nus allongés dans la rue.

Un corps à deux têtes, un corps qui est comme une boule sans membres et pleine de boutons, de pustules. Des corps souffrants, mutilés, difformes.

Je dis à R. que c’est une ville qui a une politique d’accueil et d’aide sociale et que c’est pour cela qu’il y a tant de corps nus, souffrants, difformes, informes, mutilés, malades, gisants, dolents, mais, en même temps, tous ces corps demeurent nus, frigorifiés, affamés, sans aide et sans secours.

Nous arrivons sur une grande place recouverte d’eau.

R. saute dans l’eau, croyant qu’il ne s’agit que d’une gigantesque flaque, pensant que l’eau ne lui arrivera pas même aux genoux; mais l’eau est profonde, extrêmement profonde et froide. D’un coup, comme une pierre, elle tombe tout au fond, à deux cent mètres de profondeur.

L’eau était trop froide. Victime d’un choc thermique, elle a coulé à pic. Je ne peux rien faire pour la sauver. Je ne peux que la regarder couler. Ou bien je pourrai sauter et couler à mon tour. J’hésite.

Je la vois au fond de l’eau, inanimée, dans la clarté d’un rayon de soleil.

La ville est totalement déserte.

Si je hurle, personne ne viendra.

Personne ne viendra.

Rien n’est plus possible.

EN REVENANT DE NANTES

Après une journée bien remplie, finalement.

Préparer un cours, repérer des extraits, composer un ensemble de diapositives, cela m’avait pris la soirée la veille, et les intervalles entre les rendez-vous ce matin.

C’est comme en cuisine, on en prépare toujours trop. On ne peut pas tout voir. On ne peut pas tout montrer.

Tout de même assez épuisé par ce jeûne alternatif déclenché lundi. Il faut tenir les dernières heures du jour.

Cela porte à se laisser aller aux douceurs d’un dessert en compagnie de M.G., au Wine Not. Il ne faudrait pas.

Il faudrait ne pas.

De même, il eût été préférable de renoncer au kanelboller du petit-déjeuner et d’attendre plutôt 8h30 pour un croissant jambon-comté. 

— À l’heure qu’il est, on les dresse, me renseigne la vendeuse.

J’étais venu trop tôt. Je me le tiens pour dit.Dans la voiture n°1 du Ouigo de 18h40 — bondé —  à la place 159, côté fenêtre, je regarde The Last Hurrah de John Ford. 

J’en suis à la moitié lorsque le train entre en gare Montparnasse.

Magnifiques hors-champs fordiens.

— Bonjour madame Sardanaga !

J’avais oublié de noter que C.M. m’avait dit hier, qu’elle ne trouvait même plus un moment pour rêver.

Ou bien qu’elle n’y arrivait plus. Je ne sais plus si c’était faute de temps, ou incapacité.

Quelque chose de sombre a gagné, me dis-je.

Quelque chose a sombré.

RÉSUMONS

Je reprends.

Ainsi, il n’y avait bientôt plus eu de pellets. 

J’en avais donc commandé une palette de 72 sacs de 15kg à Airvault. 

J’avais pris rendez-vous pour aller les retirer moi-même dans les hangars de mes fournisseurs le lundi 20 janvier. 

En arrivant, le vendredi soir, m’apercevant de S. chauffait à tout rompre, j’avais craint une pénurie probable et imminente de fioul. 

Sur les conseils de P.P. j’avais fait l’acquisition d’une jauge à bouchon flottant, dont franchement j’aurais pu avoir l’idée tout seul, eussè-je été moins couillon, et sitôt ladite jauge posée en lieu et place il s’était avéré, comme je le craignais, que la cuve de fioul avait dores et déjà été vidée pratiquement jusqu’au dernier litre, qu’il s’en était fallu d’un cheveu que nous ne tombâmes en panne alors qu’il faisait -3°C, y compris pendant la journée, avec du brouillard givrant.

J’avais illico commandé mille litres de fioul pour le lendemain même, renonçant à mon départ pour Nantes, repoussé à mercredi.

Au moment d’aller chercher lesdits pellets, j’avais trouvé  mon pneu avant droit complètement à plat, en raison d’une crevaison — une vis gigantesque – et j’avais dû faire changer les deux pneus avant, qui étaient lisses par-dessus le marché, ce que je savais depuis le dernier contrôle de septembre, comme je savais que ce changement de pneus était, à court terme, inéluctable, bien que je n’ai eu de cesse de repousser ce changement pneus, mes finances étant durablement au plus bas.

Evidemment, en ce mois de janvier, les finances étaient encore plus basses que ce plus bas et certainement moins abyssales qu’elle ne le seraient un mois après, puisque les finances ne semblaient destinées qu’à creuser éternellement, un gouffre sans fin et sans répit jusqu’à ce que mort s’ensuive. Si bien, que bas pour bas, autant valait faire cet investissement en changeant de pneus et d’ailleurs je n’avais pas le choix.

En découvrant une alerte à l’évacuation d’eau sur le lave-vaisselle, j’avais hypostasié un bouchon au sein du tuyau d’évacuation et convoqué le plombier. 

Or, à l’ouverture du regard d’eau, le spectacle d’un important reflux d’excréments,  nous porta d’avantage à supposer un débordement de la fosse septique. 

Trois jours furent nécessaires, à raison de nombreux mails, coups de téléphones et textos en direction de l’entreprise responsable de l’entretien de ladite fosse, pour enfin recevoir une réponse m’incitant à contacter une entreprise spécialisée dans le débouchage, laquelle m’invita à prendre contact avec une entreprise spécialisée dans l’assainissement, laquelle me conseilla d’appeler de sa part un vidangeur, lequel me donna rendez-vous pour le jeudi matin 8h30.  

Par ailleurs, lorsqu’enfin je rentrai de Nantes mercredi soir, le portail électrique était en panne et ne s’ouvrait plus. 

À 9h le secrétariat de l’entreprise de vidange des fosses septiques m’appelait pour m’annoncer que le camion aurait du retard et finalement, à 11h, j’apprenais que le camion ne viendrait pas du tout et qu’il faudrait reprendre rendez-vous.

Ne pouvant être présent au rendez-vous, c’est S. qui devrait les recevoir aujourd’hui à 17h, si tout se passe bien. Par ailleurs, P. m’a proposé de venir jeter un œil au portail pour voir si, des fois, il ne pourrait pas remettre ça en état lui-même, ce dont je le pense hautement capable.

EN DÉJEUNANT

Puisque ma roue était à plat, j’avais déposé la voiture au garage et j’étais allé à l’Intermarché m’acheter un livre pour patienter, en attendant que l’on me change les pneus.

Curieux, le rayon livres de l’Intermarché. Il y a des auteurs best-sellers que je ne connais pas (à part quelques uns: Daniel Pennac, Annie Ernaux, Michel Houellebecq, Yasmina Reza, Michel Onfray). Françoise Bourdin a pratiquement un rayon pour elle toute seule, pareil pour Guillaume Musso et il y en a quelques uns comme ça, des écrivants que je n’ai jamais lu. Il faudrait que j’aie la curiosité.

La prochaine fois je ferai des photos du rayon livres.

Je ne trouve qu’un livre que je me sens capable de lire. C’est un Sylvain Tesson. La Panthère des neiges. Je lis ça en attendant mon sauté de bœuf — carottes rôties.

Mais en réalité je ne lis pas vraiment, parce que les personnes qui déjeunent dans mon dos parlent trop fort et j’attrape des phrases. Alors, puisque je ne peux pas lire, je note à la volée quelques phrases.

— Vous voulez que je vous emmène voir où il gare son camion pour ne pas que vous le voyiez quand il roupille ? 

— Et là il devenu charmant.

— Ce qu’il reproche à Eric —  il faut dire qu’il n’a pas tort —  c’est qu’il n’arrête pas de changer le boulot. C’est vrai qu’il change sans arrêt, mais est-ce que c’est notre faute, hein? Les chauffeurs ne comprennent pas qu’on est juste une courroie de transmission. Lui, il fait exactement ce qu’il veut. Il n’écoute pas les recommandations.

— Il occultait les problèmes en faisant la politique de l’autruche. Ça c’est pas bon, je lui dis.

— C’était un moment où quoi que je dise, quoi que je fasse, où que je les emmène, il y avait toujours un truc qui n’allait pas.

— Il m’a dit: tu peux y aller maintenant, ils ne diront plus rien. Et effectivement, j’ai plus rien entendu.

— Il y avait Marcel Bernier à côté de moi et puis des bois tordus: tu vas voir, il va être obligé de les éjecter, qu’il dit.

— Il y a qu’une chose qui les intéresse.

— Il pilote le truc à distance et il récupère l’image.

— La comptabilité c’est un truc… faut savoir comment ça fonctionne. Faut connaître les règles !

SÉRIE NOIRE

Transporté 72 sacs de 15 kg ce matin, soit un peu plus d’une tonne de granulés de bois. Et je me suis procuré une jauge à flotteur pour la cuve à fioul, qui m’a appris instantanément que la cuve était vide. J’ai donc commandé mille litres de fioul en urgence, qui arriveront demain matin.

Et la fosse septique déborde.

C’est la série.

J’essaye de joindre la dame du SAV mais elle ne peut pas répondre: elle est en formation.

Ce soir une partie du ciel est clair. C’est très beau et les constellations ne ressemblent pas à celles de l’été.

Ce matin (ajout du lendemain, le 21 janvier), un pneu crevé. J’en profite pour changer les deux pneus avant, qui sont lisses. 

UN SOIR D’HIVER À L’ORÉE DU BOIS

Petit séjour à P.

Nous sommes arrivés avec S. vendredi soir et R. nous a rejoint samedi en fin d’après-midi, par le Paris-Poitiers.

Il fait -3°C mais la maison est bien chaude et c’est agréable d’être là.

J’ai fait du borsch hier soir et on remet ça avec les P. demain, chez qui nous avons déjeuné à midi et tout le monde était là. 

On prend du saumon, fumé par P., des terrines, du caviar d’aubergines, des pickles de courgettes, bref, un échantillon des conserves de l’été, en guise d’entrée apéritive. P. nous sert ensuite un gigantesque poulet. Z. a fait de la salade de fruit pour le dessert, qu’elle arrose d’eau de fleur d’oranger. P. et I. me présentent une impressionnante collection de fusils et de carabines, ainsi qu’un nécessaire à fondre les munitions. La balle, qu’I. me met dans la main pèse 18 grammes. Cela paraît énorme. La carabine, avec sa lunette de visée et son trépied, permet de tirer avec précision à plus de 600 mètres.

On n’avait pas le temps d’aller tirer, puisqu’il fallait que P. sale un jambon, qu’il dépose I. et E. à Poitiers et nous devions repasser à la maison avant de repartir pour Saumur, où j’ai déposé S. et R. au train de 19h55.

Demain matin, je dois aller chercher soixante dix sacs de 15 kilos de pellets et je sens que ça va être du sport. Ensuite, il faut que je me mette en quête d’une jauge à flotteur pour la citerne de fioul et que je prenne rendez-vous avec le plombier pour un débouchage de l’évacuation d’eau.

UN DE CES MERCREDIS

J’étais parti dans le matin. J’étais parti dans la nuit.

Il ne faisait pas chaud, mais j’étais couvert en conséquence. Un amas sur le trottoir, à l’endroit habituel. C’est encore ce mercredi. Train de 7h44 à Montparnasse. Somnolence-roupillage pendant tout le trajet et lecture distraite du Monde entre deux battements de paupières.

Nantes. Tram. Accrochages. On ne va pas parler boulot. On ne va pas donner des noms.

On croit toujours qu’on a le temps, qu’on trouvera le temps et puis finalement non. On n’a pas du tout le temps. On ne le trouve pas. On trouve autre chose. On tombe sur un os. Sur un manque et on fait avec, c’est à dire que l’on fait sans.

On retrouve le goût du manque. L’écran vide. L’absence de notifications. Le temps retrouvé pour l’attention non-flottante. Les yeux qui piquent.

Les fenêtres n’ouvrent pas dans les studettes et les portes, c’est limite-limite.

Celles du hall ne coulissent plus qu’aux trois-quarts.

Un entretien n’est pas fait. Un budget est sans doute absent.

Les nouvelles du Monde ne sont pas à sauter au plafond de joie.

Il faudrait sans doute écrire une phrase positive. Je vais chercher un café. Oui, un café, c’est déjà ça. C’est toujours ça. C’est encore ça. C’est ça et puis c’est tout. C’est ça ou rien.