LE MIROIR

Cette pluie, c’était comme dans un film de Tarkovski, avais-je pensé.
C’était comme si la pluie allait tout emporter, m’étais-je dit.

Et puis la pluie avait lavé le ciel et soudain il faisait beau.
Il ne pleuvait plus que dans la moitié du ciel.
C’était magnifique, m’étais-je dit.
J’avais eu envie de le dire à quelqu’un.
Je l’avais dit à quelqu’un.

Et une moitié du ciel était habitée d’un arc en ciel.
L’autre moitié du ciel, d’une faible bruine.
Je me trouvais à l’intersection.
Exactement.
– Il faut sortir, m’étais-je dit.

Cela n’avait pas été la semaine que j’avais imaginée.
Mais je n’avais rien imaginé non plus parce que je savais que ce que j’avais imaginé n’était qu’une fable. J’avais su. Je m’étais prévenu. Je m’étais préparé. J’avais dit que je ne m’attendais à rien, je l’avais écrit, me dis-je, et rien était survenu.
Rien m’avait donné raison.
Rien était advenu.

Au lieu de partir, j’étais resté.
Et c’est très bien comme ça, me dis-je.
Je peux attendre, me dis-je.
Le ciel peut attendre.

Mieux vaut être seul que mal accompagné.
J’étais soulagé d’être déçu.
Et même pas fâché.
Simplement désabusé.

Alors j’avais commandé du matériel, des livres théoriques.
Un télémètre laser, un micro de mesures acoustiques, une carte son portable, The Master Handbook of Acoustics de F. Alton Everest & Ken C. Pohlmann.

J’étais allé, dans le froid, recevoir un massage comique à la Porte de Vincennes.
Et puis il y avait eu à s’occuper de M.K., victime du harcèlement de ses propriétaires.
Puis il avait fallu aussi s’occuper de S.A., qui faisait des caprices.
Et quelques conversations téléphoniques avec G., en vacances, pour une fois.

Préparer le changement.
Penser à A.
Penser à C.
P. est à Lille.
Je suis seul, alors je fais de la musique.
Je fais des courses.
Je deviens végétarien.
Je déménage. J’emménage. J’anticipe.

Aujourd’hui, je m’étais dit que j’allais travailler la chanson pour P.B. et puis j’étais resté à la maison. J’avais regardé la saison 4 de Black Mirror
J’étais sorti faire des courses à l’heure de l’arc en ciel.
Je n’avais échangé que quelques messages avec la confidente de mes arcs-en-ciel.

Je n’avais parlé qu’avec les rencontres de hasard du supermarché, du bus, de chez Naturalia.
J’étais en état de parler avec les hommes et les femmes.
En état mais pas en situation.
Je suis en état, m’étais-je dit.
C’est bien d’être en état.

J’attends la situation.

J’avais regardé un vieux spectacle de Pierre Desproges.
Je m’étais étranglé de rire à cette réplique: « Himmler était un homme capable d’une très grande concentration« .
J’en avais rit tout seul toute la matinée.

J’aurais voulu rire avec quelqu’un mais j’avais ri tout seul et c’était déjà très bien.

J’avais pensé que la vie est courte. J’avais pensé que le temps pressait. Je m’étais dit que ce n’était pas grave. J’avais espéré encore aimer, vivre, désirer, partager, apprendre, donner, prendre, découvrir, créer, attendre, patienter, surprendre, craindre, imaginer. Je m’étais dit être en vie c’est déjà ça. Je m’étais dit c’est très bien. Je m’étais dit c’est parfait.

Il pleuvait comme chez Tarkovski et je n’aime plus Tarkovski mais j’avais adoré Tarkovski et j’avais fait un rêve, je me souviens, quand j’avais dix huit ans, dans lequel je rencontrais un homme qui me disait ne pas aimer Tarkovski et, à l’époque, je ne pouvais pas y croire – je l’avais même raconté à A.K. sur le moment, je m’en souviens très bien – et aujourd’hui je suis cet homme, me dis-je.

Je suis passé de l’autre côté du rêve, me dis-je.

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