Après les crêpes, réalisées en suivant la recette de Jean-François Piège, une matinée tranquille à monter un court-métrage d’animation consacrée à l’amitié de Crétacé et Maelstrom, deux personnages issus de « L’âge de glace 2 », que S. possède depuis peu sous forme de figurines en plastique.
Nous avions réalisé hier, en un tournemain, un film sur la table du salon, en utilisant l’astucieuse application « Stop Motion Studio ». Y apparaissaient, outre nos deux héros, un mosasaure furieux et un requin-marteau qui leur servait de repas.
Aujourd’hui, nous rajoutons un générique, de la musique et remettons de l’ordre dans les dialogues. Il est déjà question des prochains épisodes de la série, puisqu’il est dit que ce doit être une série.
Au déjeuner, une côte de bœuf au four et des pommes de terre sautées. Une petite sieste, en écoutant des choses inquiétantes à la radio (l’émission « Signe des temps » avec Quin Slobodian, auteur du livre « le Capitalisme de l’Apocalypse ») et nous filons au Louvre voir les antiquités égyptiennes à la recherche de crocodiles (mais nous n’en trouvons que fort peu et de petite taille).
Nous devions, ma sœur et moi, aller étudier dans le Nord de la Belgique et A.L. me faisait remarquer, en regardant la carte, que nous serions à quelques centaines de mètres de la frontière terrestre de l’Angleterre.
Il était remarquable, par ailleurs, que, sur la carte, la partie Belge consistât essentiellement en échangeurs d’autoroutes, voies ferrées, terrains vagues, zones industrielles, tandis que la partie anglaise n’était faite que de forêts sauvages et de collines verdoyantes. Nous nous réjouissions par avance de cette proximité de la nature tout en nous interrogeant sur la possibilité de la rejoindre ou non, étant donné l’impraticabilité des terrains nous en séparant.
Dans la studette n°7 de l’école des beaux-arts de Nantes, il fait bon.
Les fenêtres ne s’ouvrent plus et la porte menace de lâcher, comme déjà celle de la studette n°4 dernièrement (et celle de la n°3 plus anciennement).
Mais il fait bon et les draps sont propres.
J’aime ma cellule, j’aime ces soirées en cellule.
Un temps hors du temps. A boire des litres d’eau, en regardant un début de série sur Netflix, puis un autre début de série sur Disney plus et encore un autre sur Apple TV + et puis, non, finalement, lire un peu.
Et puis non, écouter la radio.
Et puis s’endormir en écoutant la radio.
On est au cirque, me suis-je dit, repensant aux dernières frasques du Père Ubu. Le cirque de Donald Ubu, le Père. Le pitre, le bouffon, le clown.
On est dans une bouffonnerie tragique, me suis-je dit.
Ce n’est même plus la peine de s’inquiéter, on y est.
Autant faire autre chose, me suis-je dit. Autant ne pas se faire de mouron.
Le sosie de Brad Pitt, dit Arsène Lupin, fait des annonces comiques à l’instant.
Il y avait une population bruyante dans le Ouigo de 7h44.
J’avais mis mon casque pour travailler à un montage son, mais, même avec le casque sur les oreilles, j’entendais encore piailler et pépier. J’entendais des vidéos Youtube et des youyous et des hourrah et des youpi…
Cela ne dura, heureusement, que jusqu’à la gare du Mans, où toute la joyeuse bande descendit et s’éparpilla pour ma plus grande tranquillité. Ensuite, je regardai un bout du Journal d’une Femme de Chambre de Buñuel.
— Les vieux films, y a que ça de vrai, me lança le contrôleur en voyant que je regardais un film en noir et blanc.
J’avais ensuite retrouvé T. et S. à l’arrêt du tram et l’on était joyeusement allés, en bande, jusqu’à l’école ou A. m’attendait pour le mixage de son mémoire sonore.
Nous avons travaillé jusque vers 13h20, puis, le temps d’avaler une soupe et un bol de légumes chez « Délicates et saines » j’avais retrouvé T. pour un workshop tournage, entrecoupé d’une incartade dans l’accrochage des M2 Formes du réel.
Avec la situation image, nous tournons quelques plans dans la cuisine.
A 18h, je retourne au studio où me rejoins A. pour avancer encore sur ce mixage jusqu’à 20h30.
Et me voila de retour en cellule avec mes deux bouteilles d’eau, puisque, le soir, je jeûne.
Très bien, je vois. Le choix de carte est… La Reine des Ombres. Et tu avais choisi de savoir ce qui se cache dans ton cœur…
Il y a quelque chose qui reste caché ici, que tu ne montres à personne, même pas à toi-même. Mais, peu importe tes raisons, cela doit être révélé et accepté.
Le Huit de Coupe représente la fin d’un cycle émotionnel et le début d’une nouvelle étape. La Dame de Bâton représente la flamme créative, passionnée et confiante.
C’était un dialogue un peu stérile avec une IA, dont je sentais que son objectif était mon confort mental. Mais, s’agissant de John Coltrane et de ce morceau, Alabama, mémorial à des fillettes assassinées dans un attentat perpétré par le Ku Klux Klan, je remarquais que toute référence à cette organisation, y compris sous la forme des seules initiales, déclenchait immanquablement la réponse stéréotypée: « Racism is despicable. I would never stand with organizations that promote hate towards people based on their race. »
Mais ce n’était pas si grave, c’était le fonctionnement. Il fallait trouver des biais pour que ce fonctionnement puisse activer des fils d’écriture. Et pour l’instant, déjà, il me fallait mettre en place un cadre, une structure, une discipline.
Pour l’instant, il est l’heure d’aller chercher S. à l’école.
Nous sommes à Lille. Je ne sais plus pourquoi nous sommes à Lille mais nous y sommes. Il y a de petits passages, avec des restaurants. Beaucoup de victuailles, des charcuteries, sur les tables.
Je dis: « Lille, c’est une ville de restaurants. Ce sont surtout les restaurants qui me manquent depuis que je ne viens plus régulièrement à Lille ».
Des gens déjeunent aux terrasses.
La ville est en chantier. La ville n’est que chantier. Charnier, chantier.
Des immeubles industriels s’effondrent, tombent en poussière. On reconstruit des bungalows, en planches rouges. Tous sur le même modèle. Des dizaines, des centaines de bungalows rouges aux toits sombres, à double pente. Avec des terrasses, des balcons, des gardes-fous.
On dirait un gigantesque marché de Noël.
On se croirait en Bavière.
Ce sont de grands travaux, qui vont redessiner la ville et l’activité culturelle. Bientôt, il n’y aura plus rien d’autre que ces bungalows, des ruines et des taudis.
A un moment me vient l’idée de rendre visite à l’école de Tourcoing et puis, finalement, je me dis non. Non, décidément, non. Mauvaise idée. Je n’ai pas d’amis là-bas. Plus d’amis là bas. Personne ne sera content de me voir et je n’ai personne à y voir.
Et je me demande pourquoi nous sommes venus.
Il fait froid.
Des corps nus allongés dans la rue.
Un corps à deux têtes, un corps qui est comme une boule sans membres et pleine de boutons, de pustules. Des corps souffrants, mutilés, difformes.
Je dis à R. que c’est une ville qui a une politique d’accueil et d’aide sociale et que c’est pour cela qu’il y a tant de corps nus, souffrants, difformes, informes, mutilés, malades, gisants, dolents, mais, en même temps, tous ces corps demeurent nus, frigorifiés, affamés, sans aide et sans secours.
Nous arrivons sur une grande place recouverte d’eau.
R. saute dans l’eau, croyant qu’il ne s’agit que d’une gigantesque flaque, pensant que l’eau ne lui arrivera pas même aux genoux; mais l’eau est profonde, extrêmement profonde et froide. D’un coup, comme une pierre, elle tombe tout au fond, à deux cent mètres de profondeur.
L’eau était trop froide. Victime d’un choc thermique, elle a coulé à pic. Je ne peux rien faire pour la sauver. Je ne peux que la regarder couler. Ou bien je pourrai sauter et couler à mon tour. J’hésite.
Je la vois au fond de l’eau, inanimée, dans la clarté d’un rayon de soleil.