EN COMPAGNIE DES CHATS

Ils sont bien gentils mais ils ne font que des bêtises.
Déroulent et émiettent le rouleau de papier, mangent les feuilles des plantes, les vomissent sur le bureau, se font les griffes sur les meubles, etc.
Et avec tous ces poils, je tousse.

Pas une seconde de répit. Pire que des humains.

En réalité, me dis-je, l’espèce humaine est une espèce assez tranquille.
Heureusement que ce ne sont pas des chats qui gouvernent le monde, me dis-je.
Avec ces gros mâles dominants qui empêchent tout le monde de bouffer, me dis-je.

Mais c’est que c’est quand même aussi un peu comme ça, me dis-je, avec les hommes, me dis-je.
Hum, je dis-je.
Mouais, me dis-je.

Non, les chats sont pires.
De peu, mais pire.
On peut toujours se le dire, me dis-je.

Avant cela, il y avait eu un week-end chargé, un déménagement, un mixage, des devis.
Une projection au Studio 43.

Qu’elle était verte ma vallée (1941, 118′ de John Ford).
J’avais pu remarquer que les étudiants s’empressaient davantage autour d’une table de ping-pong qu’à la projection d’un film de John Ford. C’était ainsi, m’étais-je dit. Je les regretterai d’autant moins, m’étais-je dit. Quitter l’enseignement sera plus doux, m’étais-je dit.

Je m’éloigne, me suis-je dit, je suis déjà moins là, je m’absente, me décorporise.

Ce qui n’empêche que le 5 février prochain, au Studio 43 de Dunkerque, à 14h30, nous nous projetterons Les Musiciens de Gion (1953, 90′) de Kenji Mizoguchi. Les happy fews se reconnaîtront. Aux autres, je n’ai rien à dire. Les autres peuvent bien jouer au ping-pong. Ou faire ce qu’ils veulent.

Bien installé pour deux mois dans le marais, chez PS, avec chats et consorts. Et retrouver Paris, finalement, on a beau dire, c’est retrouver la vie.
Pas que je l’eusse perdue à Montreuil mais à Montreuil c’était une curieuse solitude.

Hier, il y avait eu les bilans, les accrochages et c’était toujours bien, même lorsque c’était indigent. Il y avait à dire. L’on soufflait, l’on s’asseyait par-terre, l’on veillait au chronomètre, l’on s’interrogeait sur le sens de notre coprésence, l’on s’émerveillait sur une couleur, sur une transparence. C’était beau, futile et essentiel. Cela me manquerait peut-être. 

Cela seul me manquerait. Non pas seulement cela mais cela surtout. L’idée de cela. Le sérieux de cet émerveillement. Le sérieux de cette bouffonnerie. Le tragique grotesque de cette sérieuse bouffonnerie. Le tragique et grotesque émerveillement de cette bouffonnerie sérieuse et furieuse.
Oui, me dis-je.
Hum, me dis-je.

Mais maintenant, il faut construire, échafauder des plans, coordonner des équipes, apprendre, méditer, agir, anticiper, manœuvrer, développer. Ce matin, rendez-vous rue de Penthièvre et quatre-vingt coups de téléphone. Les affaires reprennent. Les affaires ne s’arrêtent jamais.

Et ce soir, c’est déjà la projection du film mixé dimanche, Virus n°2, au Forum des Images. Puis débat et l’on verra.