LES PRINCES DE CASABLANCA

Il pleut sans arrêt depuis ce matin.
Nous sommes tout de même sortis vers midi pour aller manger une harira, une salade et des brochettes de viande hachée au Bistrot du Petit Socco.
On ne mange rien d’autre que ce qui est annoncé sur le menu – c’est sommaire, voire spartiate – mais les produits sont bons. Des enfants hystériques psalmodient d’incompréhensibles imprécations dans les haut-parleurs de l’ordinateur. On dirait des voix gonflées à l’hélium.
En rentrant on passe s’acheter des douceurs chez le petit marchand de nougats et on les déguste en buvant un thé à la menthe chez Comedia. Notre taux de sucre fait des bonds importants et on comprend mieux la concentration de dentistes.

Hier, départ à 7h du matin pour Casablanca. Il faut trois heures de voiture à 180 km/h.
O. conduit comme un fou en parlant sans discontinuer avec N. C’est une longue complainte, dans laquelle nous entrons, semble-t-il, ainsi qu’un certain nombre de personnes et d’enjeux socio-professionnels. À l’arrière, on boucle nos ceintures, on ferme les yeux et on prie pour rester en vie. J’avais oublié mon sac à dos, avec chargeur de portable, enregistreur, documents divers et j’en oublie chez J., où nous étions allé boire un verre vendredi soir. Je suis nu comme le pain, sans téléphone et sans appareil photo. Journée sourde et aveugle à Casablanca.
Il faut que je demande des photos à H. mais à l’heure qu’il est – conséquence d’une crève passagère – il sieste.

Casablanca est beaucoup plus urbaine et étendue que Tanger.
C’est presque aussi pollué que Pékin.

Un tournage chinois occupe une bonne partie de la Medina.
Le film s’intitule « Desert Storm »: il semble que le Maroc y serve de décor pour reconstituer l’Irak des années 70. Il y a partout des véhicules militaires et des monticules de terre.

On passe visiter une oubliable exposition de peinture contemporaine et on cherche longtemps avant de dégotter le restaurant le plus improbable, le Tonkin, restaurant de sushis, brochettes et spécialités asiatiques. On en sort vivants mais tout juste juste…
Passage éclair par le marché et O. repasse nous prendre.
Encore trois heures dans l’autre sens, à la même vitesse avec un O. qui parle toujours autant, avec toujours la même véhémence.

Nous avons le plaisir d’arriver entiers à Tanger.

Pour fêter ça, nous allons nous faire plumer au Number One (vin à 220 DH, assiettes presque vides à des prix exorbitants, etc.) et chanter des chansons des Beatles pour une fille qui fête son anniversaire – c’est samedi soir, il y a de la jeunesse. 

Nous allons coucher nos vieux os rompus.

Ce matin, chanson.

Les princes de Casablanca 
Roulent à cent quatre vingt  
En agitant les mains

Des confins du Tonkin 
Ils guettent la venue 
Du tsunami 
Bonjour l’ami 

Et nul n’est à l’abri
D’une émission saumâtre 
Derrière les palissades

On risque la noyade
Sur l’esplanade 
Au Nord du minaret
L’océan est tout près 
Et le vent est mauvais

La voix pleine de crainte 
Ils lancent leurs complaintes
La complainte des princes de Casablanca

Ils sont dans le tracas
Et ne connaissent pas
Le nombre de leurs troupes 
Ils ont bu toute la soupe

Vidé d’un trait leurs coupes et 
Maudits dans toute 
La Medina,
Ils dînent à midi 
Et même le Mufti 
Ne moufte pas

Quand les princes de Casa 
Parlent à tour de bras 
Et causent à l’encan
En quête d’un en-cas

D’une chienne andalouse
Serrée dans une blouse
D’une sandale mouillée 
Dans toute sa nudité

Au pied de la Mosquée 
On avance masqués
Et les princes toujours
Toujours de critiquer

La taille des murailles
Le prix lourd à payer
La longueur de la route
La chaleur du mois d’août

Les travaux et les jours n’offrent pas de repos
Il n’y a plus de héros

Les princes sont rouillés
Au pied de l’escalier
Ils font un petit tas
Bien vite balayé
Par le tournage chinois

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