COWORKING IN A COAL MINE

Comme souvent le mercredi, lorsque je dépose C. à son cours de modelage, je vais passer une heure dans un espace de co-working, rue Greneta. C’est un peu comme d’aller visiter des parents éloignés.C’est famille, c’est calme.

On peut se faire des cafés, grignoter des spéculos.Il y a des gens qui travaillent en silence. On n’entend que le tapotis des claviers de portables.Clic, clic, clic, clic.

Avant, j’étais allé place d’Italie à l’agence Z. pour faire un point sur l’étude acoustique, puis j’étais allé chercher C. et nous étions allés manger des sushis rue Rambuteau. J’avais successivement rencontré N. puis M-E. Et puis, nous étions passés par la FNAC parce qu’il me fallait absolument un cordon pour recharger mon téléphone.

J’en ai pris un de trois mètres. C’est délirant. Je ne sais pas très bien pourquoi il n’y en avait pas de moins long, de la bonne qualité.Trente euros, tout de même. C’est scandaleux.Je rêve d’un Motorola. D’un blueberry. D’un be-bop. D’un Tatoo.

Hier nous étions allé voir le film de H.V. avec une performance et une vidéo de J.C. et c’était comme de retrouver la famille.

Elles ne bougent pas.

Et il y a les enfants dans le film. Et toute la famille D. Film de famille, donc.

On a fini toutes les saisons de « The Wire » et on s’est mis à « Treme ». Je viens de regarder la signification de « Treme » dans Wikipedia et c’est un nom propre, qui désigne un quartier de la Nouvelle Orléans, tout bêtement. On se demandait, hier avec R., en regardant le générique.

Bruit des tasses. Il est 14h46. Je vais bientôt y aller.

Et à l’instant je reçois une brochure pour de nouvelles cloisons acoustiques développées par Placo. Il faut que je regarde ça de plus près.

NO MORE AUTO FICTION BLUES

Je m’étais dit soudain que ça allait bien comme ça, qu’on s’en fichait de l’autobiographie, que c’était une époque révolue, un dispositif obsolète, que l’on avait changé de paradigme, que l’on était entrés dans une nouvelle ère, qu’il fallait en finir avec les identités, les subjectivités, les égos, les moi-je, qu’il fallait inventer autre chose, se fondre dans le Grand Tout, dans le Cosmos.
Et puis, finalement, je m’étais dit, non.
Non, je m’étais dit. Finalement, non.
Finalement, oui.
Pour finir, oui, oui, continuer, m’étais-je dit.
Continuer contre vents et marés. Avec vents et marés. Pertes et fracas.
Et donc, et donc ?

Et donc nous sommes mardi dix neuf mars et une forte odeur de détergent industriel flottait dans ma cellule deux cent dix huit, m’asphyxiant à moitié. J’avais ouvert la fenêtre pour laisser entre la fraîcheur de l’air marin contaminé par des émanations toxiques en provenance des sites industriels. Un bon bol de gaz dunkerquois m’étais-je dit. Dans le soleil du matin. Croissants et confiture de prune puis une petite marche dans le soleil aveuglant, jusqu’à l’école d’art, déserte, toujours.

J. et D. avaient fait tourner les tables de la salle des profs et j’expérimentai cette nouvelle disposition, pratique en ce qu’elle permettait d’accéder plus directement au bloc de prises murales. L. avait dégagé son matériel de dessin. Le frigo était cassé et évacué depuis des semaines. Le four à micro-ondes était remisé dans le hall.

Il ne se passait rien. Il n’y avait pas de rendez-vous et peu de monde dans l’école. Alors j’avais constitué une feuille d’expression de besoins pour l’atelier vidéo-son et l’avais posté et j’étais maintenant en train de me demander de quoi cette journée allait être faite.

J’irai déjà faire un tour dans les boxes, m’étais-je dit.

Alors je suis allé faire un tour et je suis tombé sur J.
Nous sommes montés à l’étage de la vidéo pour déposer une mandarine et nous y avons rencontré C., S. et P. qui déplaçaient des meubles.
L’on s’est un moment interrogés sur l’opportunité d’une redistribution des locaux.
Puis je suis redescendu d’un étage.
J’ai vu R., qui fait tremper des photographies dans un canal pendant des mois avant de les sortir et de les accrocher.
Il était en train de bricoler un système électronique permettant de faire apparaître une image vidéo en soufflant sur une petite hélice.
Je lui ai promis de beaux grincements de porte et je suis allé voir D.J. qui montrait ses vidéos à P.D.

On reste un moment à discuter puis j’ai faim et je vais manger du poulet frit au restaurant japonais.
Au retour, il y a du café et puis un artiste qui présente ses dessins, faits en collaboration avec tout un tas de gens un peu partout.

A. m’appelle pour me dire que la porte du studio aurait peut-être été visitée. La clef ne s’y introduit plus facilement.
Je me renseigne sur les systèmes d’alarme.

Je me souviens que dans mon rêve de lundi matin, j’étais flanqué d’un assistant qui ne cessait de se précipiter dans des talus et de se laisser tomber du haut des falaises, se rattrapant toujours miraculeusement et l’air de rien.

CUMULONIMBUS

Il neigeait au départ, mercredi matin et le train avait eu du retard. 

Nous étions arrivés, avec J., vers onze heures. La réunion avait commencé une ou deux heures avant. Nous avions raté les cinquième année.

Il s’était mis à faire froid. Il y avait cette belle lumière du Nord. Ce ciel d’un bleu vif, ces nuages gras, rapides et dessinés.

J’était descendu à l’hôtel BnB, face à la gare. Un affreux américain faisait de l’esclandre à l’accueil, demandant à être remboursé, sous prétexte qu’une femme de chambre avait eu le front d’entrer dans sa chambre alors que le signal « Do not disturb » était affiché à la porte. Menace de procès et autres catastrophes.

La pauvre femme de chambre terrorisée. 

On lui aurait bien enfoncé le nez dans sa face à ce cochon, mais on avait préféré s’éviter un procès. On avait autre chose à faire: préparer le concert du lendemain.

Mixage en direct de flux (BFM TV, France Culture, BBC News) à travers un vocoder, voix de Trump, Xi Jinping, Bolsonaro. Chorus monstrueux, bit-crushing, ping-pong delays. Et synthétiseurs. Et scène ouverte.

Avant cela, on avait eu une conférence sur l’électricité et une autre sur les orages.

C’était beau, les cumulonimbus et de les voir se former.

Et les phénomènes lumineux transitoires de haute altitude.

Ce matin, mise en boucle des vidéos pour les journées portes ouvertes et rentré tôt pour aller chercher C. à 15h. Je suis dans le train et nous n’allons pas tarder à arriver. 

Il est 14h23.

DOIGTS DE ROSE

C’est beau le ciel le matin. D’abord c’est rose et puis ça s’embrase.

Il ne fait jamais vraiment froid. Il n’y a plus de gelées, plus de glace et plus de neige. C’est la saison unique. Il fait juste nuit et il pleut aussi, pas mal.

Pas trop.

Comme souvent le jeudi, nous nous sommes réveillés tôt.

Il me fallait être à 9h à Vavin. Et j’y fus. Le studio de J.M. avance bien. T. a construit l’ossature interne. Dans quinze jours ça devrait être la fin.

Vers dix heures, je repars pour Montreuil.

Arrivée autour de onze heures. 

K. appelle pour dire qu’il n’a pas le temps de parler et rappellera plus tard. Plus tard, il ne rappelle pas. Plus tard encore, je le rappelle mais il ne répond pas. Plus tard encore, il rappelle mais je suis dans le métro. On se rappellera demain.

J’organise un peu le planning, je sors des devis et des factures, je travaille sur de nouveaux morceaux pour LDELCO, puis A. se pointe. On papote en écoutant des choses et il est temps de rentrer. 

J’avais eu l’intention d’aller chez le coiffeur, mais je ne suis pas passé devant un salon de coiffure. Je recharge les tondeuses et vais bouquiner.

Je n’avais pas pris le temps de déjeuner alors j’ai pris pour le goûter des petits biscuits pomme-noisettes, une tartine de beurre de cacahuète et une clémentine corse avec un thé d’Aubrac. Là, je bois une Grimbergen qui trainait dans le frigo.

RÉSOLUTIONS

On ne peut pas dire qu’il ne se passe rien. Il est loin de ne se passer rien. Il se passe des choses, beaucoup de choses. Et pour commencer, je déménage, j’emménage et nous re-déménageons très bientôt. Nous avons trouvé un appartement avec R.

À Aubervilliers, quatre chemins, un grand F4, avec des terrasses à s’y perdre et tout un tas de salles de bains, de buanderies et de dressings. Effet conte de fée. On s’y rêve déjà et l’on y sera bientôt. Mi-février, fin-février. J’attends les retours de la gestion.

Et puis, il y a du travail. Des études acoustiques, pour commencer: chez O., dans le Perche, chez N. à Buzenval, chez J.M. à Montparnasse, ce matin, repérages pour le C.F. à Maraîchers et la semaine prochaine P.D. pour le quai de l’Oise, deuxième tranche. J’ai demandé un devis pour la location d’une machine à chocs normalisés et d’une source sonore omnidirectionnelle. 

Vendredi dernier, c’avait été psychodrame chez A.C., avec G.P. et sa femme S. La guerre des nerfs. La douche écossaise. J’avais tenté d’apaiser l’atmosphère par quelques prises de mesure, permettant d’objectiver la situation. Ce n’avait été que modérément efficace, puisque, d’après le coup de fil reçu hier de S., au cours du pot de départ d’A.C., à la Plateforme de Dunkerque, la trêve semble avoir fait long feu.

REVENIR AUX FONDAMENTAUX

Ce sera bientôt le moment de former des vœux, me dis-je. Il sera bientôt temps de dessiner un œil au daruma et de lui assigner un souhait. C. aussi a reçu un daruma, offert par R. avec une paire de chaussettes japonaises à dix orteils. Et c’est aussi bientôt le moment de mettre en place de nouveaux rituels, me dis-je, de re-discipliner le quotidien.

J’aimerais arriver à me passer de smartphone, me dis-je. Mais alors il me faudrait une montre, un appareil photo, des carnets, des crayons, des cartes, une boussole, une clé 4G. Il me faudrait un petit sac pour mettre tout ça. Ce serait bien, tous ces objets dédiés à un usage simple et jeter ce truc totalitaire. J’aimerais ça.

Et puis, il y a, une fois réglée la question de l’endroit où nous allons vivre, régler celle de la gymnastique quotidienne, hebdomadaire. 

Acidité cette nuit. Le vin. Brûlures de l’œsophage. Céphalée. Revoir le régime alimentaire. En même temps. Parallèlement.

La radio. S’en passer ? Lire. 

DEVIS DE VIE

Il y a deux éléments, deux contextes. La nuit et le jour. Le sommeil et la veille. Ce sont deux mondes qui ne raccordent pas exactement. A la lisière, l’angoisse. D’où une difficulté enfantine à passer d’un mode à l’autre. Une fois dans le bain de la nuit, ça va. Ça peut aller. Une fois installé dans le jour, c’est pareil. Il suffit d’y mettre l’énergie. Ce sont les passages de l’une à l’autre qui deviennent insupportables. Au bord du jour, au bord de la nuit, vertige et angoisse.

Effets de bord, dit-on. Et comment passer outre ? S’extraire sans peine. Glisser. La radio m’aide mais peut-être aussi que la radio ne fait qu’empirer les choses. C’est que cela devient de plus en plus difficile à supporter, le monde des hommes. C’est qu’il y en a trop, sans doute. C’est que les perspectives sont sombres. Au réveil, ça plombe. Il faut du temps pour s’organiser. Mettre la journée dans le bon angle. Placer le point de fuite.

Aujourd’hui, pas à y couper, c’était devis. Devis à tous les étages. Et même, visite du magasin La Maison en tissu à la recherche d’un coton gratté et finalement c’était autre chose et j’ai même envisagé de la toile à beurre. Déjeuné dans une cantine japonaise non loin, route de Bergues.

DISTANCE, DIT-ELLE

Novembre s’est écoulé d’un trait, le temps d’ouvrir une porte et de la refermer.

Pas vu passer. Pas vu finir. Déjà passé, déjà fini. Zou novembre, ouste novembre et c’est déjà Noël, bientôt. Noël tout seul et c’est pas plus mal. Noël vide et c’est très bien. Noël au balcon et c’est pas plus con. Il y aura des tracks à enregistrer au studio, un peu d’écriture, espère-t-on, du repos aussi et de la lecture. Et il fait toujours aussi chaud. Aussi tiède. Quinze degrés aujourd’hui à Paris et je lis qu’à Dunkerque presque autant.

Aujourd’hui, réveil vers neuf heures. C. m’appelle en Face Time depuis sa chambre pour que je puisse assister à distance à l’ouverture de la deuxième fenêtre de son calendrier de l’avent. Ensuite tout s’enchaîne. Tartines, jeux, courses rapides, cuisine, arrivée de R., tarot, déjeuner puis hop, la Villette pour le vernissage de l’exposition Microbiote, mais trop de monde, on ne reste pas et on va, à la place, à la Cité des Enfants jouer avec l’eau, les tuyaux, les paraboles.

Hier ç’avait été les expositions conjointes de H. et U. et il faut qu’on se voie très vite autour de quelques barriques nom d’un gilet jaune!

Et ce soir c’est déjà dimanche soir et demain Dunkerque.

Et voilà. C’est demain. Il est huit heures cinquante six et je me trouve dans la salle dite Théorie 1, en attente des étudiants de deuxième année.

J’ai dormi dans le train. Mon voisin travaillait, pianotait, regardait des photos. Je n’ai pas espionné, juste aperçu, entendu. Me suis laissé bercer par le cliquetis des touches. D’avoir supprimé l’application Facebook de mon téléphone c’est un peu comme de se relever d’une longue maladie nerveuse. 

Penser à acheter du beurre.

Il y avait une belle porte verte au numéro 24 de la rue de la Gare, me suis-je dit en marchant vers l’école. Le train avait un peu de retard et je ne me suis pas arrêté au Monoprix pour prendre un café. Et voici la première étudiante qui arrive. Toujours ponctuelle.

DÎTES MOI

Parfois mes journées ressemblent à celles de Jeanne Dielman, me dis-je.

Surtout le lundi, avec huit heures de cours. Deux fois quatre heures et une coupure d’une heure pour déjeuner. 

Après l’angoisse du vide, la solitude du premier quart d’heure, l’arrivée au compte-goutte des rares étudiants ponctuels  — enfin, « ponctuels », c’est une façon de parler: nous appellerons « ponctuels » celles et ceux dont le retard n’excède pas la demi-heure réglementaire —  après celle des retardataires arrogants (qu’on ne rate pas et qui nous le rendent bien), on sent vite monter la fatigue, l’ennui, le doute.

D’abord, le matin avec les étudiants de deuxième année et puis l’après-midi avec les étudiants de troisième. Deux formes différentes de fatigue, d’ennui et de doute. Différentes en qualité et en quantité. En densité. 

Et c’est sans doute très bien aussi. La fatigue, l’ennui, le doute sont certainement indispensables. Le doute, la fatigue, l’ennui amènent à un point de sincérité où il devient impossible de dissimuler le vide, la béance et le vertige. Où il devient inévitable d’affronter ces dragons mous. De se confronter. D’échanger nos fatigues, nos ennuis, nos doutes. Il devient inévitable de l’ouvrir, d’exprimer, de dire des bêtises et peut-être aussi de commencer à construire, à articuler une esquisse de forme dans la boue. Et quand de tout cela émerge soudain un moment de grâce, c’est miracle. Cela advint hier, vers 17h30, à la faveur du très beau journal filmé de J.K. Qu’elle soit bénie.

Mais s’être levé à cinq heures. N’avoir que peu dormi — parce que l’on dort mal lorsque l’on sait qu’il faudra à cinq heure sauter du lit. Avoir pris le métro bondé à Hoche (mon dieu, que les gens partent travailler tôt et quelle bousculade sur le quai à la Gare du Nord). Et le train de six heures quarante six. Les jambes pliées, le sac sur les genoux. La cohue à six heures quarante six, déjà. Ça reste agréable. Dormir enfin. Il y avait eu aussi cette dame, entrée à Lille Europe, avec son thermos de thé, ses croissants, son bureau roulant. Formidable. Admirable. Inspirante.

Oui. Tout de même, quatre heures. Deux fois quatre heures. C’est long. Epuisant. Désespérant. On s’effondre. On s’endort avant vingt heures. En écoutant la radio. C’est l’émission de René Frydman. Matières à penser. Ce soir: « la danse du couple ».

Coup de fil de R. qui me tire de mon sommeil paradoxal. Il fait froid dans la rue parisienne où elle se trouve. Il fait chaud dans la chambre de l’auberge de jeunesse où je somnole. J’ai pris une salade, un sandwich et de la soupe au potiron. Une bouteille de Coca zéro.

Et ce matin, ce n’est rien. Une conférence. Quelques échanges. Et cet après-midi, un débat. Rien de grave. Et ce soir, les vacances. Alleluia !

BURN IN

C’est un long mois. C’est un mois bien chargé. Et puis j’ai été malade.

Je ne vais pas encore très bien. Je ne dors pas bien. Mais ça va. C’est juste de la fatigue, de l’épuisement, ça va. C’est bientôt fini. Encore quelques jours.

Et puis c’est bien, au fond, ça rassure. D’être occupé. D’avoir du travail. D’avoir des choses à faire. Ça rassure. Ça structure. Ça vous pose. Ça vous nourrit. Mais ça vous consume aussi. Ça ne doit pas durer éternellement à ce rythme. Ça ne doit pas. Il faut trouver un rythme de croisière. Trouver de l’air, du temps. 

Je me fais un congee au poulet. Et puis je me mettrai au lit avec un traité d’acoustique, ou bien Netflix, ou bien Candy Crush. Ou tout à la fois. Quelques gammes de guitare, avant. Peut-être. Sans doute. Il faudrait penser à prendre des notes, de nouveau.

Ces deux derniers jours, j’accueille des stagiaires du CIFAP au studio. C’est agréable. Familial. Chaleureux. Demain, dernière séance, hors studio.