BAISSARA

Celui-là, qui est assis face au mur, sous le soupirail, dans la lueur, son bol est posé.
Il est dans la voie.
Celui qui présente son dos au mur, il se détourne de la voie d’un petit angle.
De la même façon, il s’écarte celui qui est assis dehors, dans le passage et regarde vers l’intérieur.

Seul celui qui est assis face au mur, sous le soupirail, peut, mangeant lentement, demeurer sûrement dans la voie. Chaque cuiller, portée tranquillement à sa bouche, le renforce dans son calme cheminement vers la voie.

S’il ajoute une fois de la poudre de piment dans sa soupe, il use de son droit et reste dans la juste voie tout de même.
S’il ajoute par deux fois de la poudre de piment dans sa soupe, il se montre arrogant car il croît mieux connaître son affaire que celui qui connaît son affaire.
S’il ajoute par trois fois de la poudre de piment dans sa soupe, c’est qu’il est luxurieux car il se charge d’une chaleur excessive.
S’il ajoute par quatre fois de la poudre de piment dans sa soupe, il fait preuve d’orgueil car il prétend soumettre le monde à son ordre.

Celui qui veut rester purement et simplement dans la droite voie, il ne prendra pas une coupe d’olives et ne portera pas la main à la miche de pain nu.
Mais s’il touche au pain et fait demande d’une coupe d’olives, alors il vaudra mieux terminer le pain et ne laisser des olives que noyaux plutôt que d’abandonner une demi-miche et des olives dans la coupe.
Et il vaudra mieux pour lui laisser un demi-pain que de ne l’avoir qu’à peine entamé.

Car aussi bien une fois le pain touché, l’on s’écarte de la voie d’un grand degré.
Et il est plus aisé de revenir dans la voie, s’étant beaucoup écarté car comme l’écart est grand et la voie lourde, la route devient large.

Celui qui, petit, se contente d’un petit bol, montre qu’il possède le sens de la mesure mais le grand, il ne s’interdira pas le grand bol, car la mesure du monde est donnée par la mesure de chacun. 

Le grand qui voudrait se contenter du petit bol, on l’appellera aussi orgueilleux ou l’on s’inquiètera de sa santé. Et c’est comme l’on voit que l’orgueil est souvent la conséquence d’une souffrance de corps.

Le petit qui demanderait un grand bol, on le taxera de gourmandise ou d’ambition.

S’il ne mélange l’huile, le cumin et le brouet, on pensera de lui qu’il ménage la part des choses et assure le bon alignement de sa trajectoire.
Mais s’il mêle l’huile, le cumin et le brouet, il prend le risque de s’égarer, comme la lumière se mêle à l’ombre dans un jour gris. De celui-là, on dira qu’il s’est perdu à force de mélange et qu’il risque de faire fausse route, étant devenu incapable de faire le partage des ténèbres et de la lumière.

LES TROIS RÈGNES (LA VOIX ROYALE)

La voix royale de l’intérieur est une voix grêle, une voie étroite, une voie droite, une voix blanche, une voix franche, une voie de planche. 
Une voix de tête, qui tranche, une voix de fête, qui flanche et se redresse, émarge aux fréquences grésillantes des microphones étanches, des zones franches et des franges de marge.
Au large des marches qui scandent la descente vers le sable, affable, les palmiers de Palmyre où la mer infuse l’anse des terres qui l’enserrent et dont elle baise la pierre. 
Langue de terre, de verre et de sel. 
La voie est étroite mais douce et lente de proche en proche.

La voix du milieu est assouplie, assoupie, mais que d’un œil, serpent, souris. 
Elle bondit et se tasse. Multiple, schizophrène, ce sont et les costumes aux longues cravates sombres et les cent mille chats des décharges qui se pourlèchent et s’étirent lascifs dans le bain solaire. 
Elle taille dans la masse, polit et masse, incise et décisive. 
L’œil mi fermé. Elle avance et tance en cadence. Elle porte beau et porte loin dans un murmure. La voix royale du milieu est affranchie. Réfléchie. Lente et ample, elle nourrit un mouvement de masse dans un temps plus étendu, au miel naturel du Rif qu’ébouriffe à peine une poignée de pignons en chignon. 
Elle coule, s’enroule et s’étrangle sans faire de bruit. Serpent, souris. 

La voix de l’extérieur est une voie rapide, c’est une voix de poitrine. 
Une voie de bitume et de béton, une avancée sur la mer. 
Pince sans rire et douce-amère.
Un souffle court. Un souffle amène, affable et suave. Sucre de datte. Double fruit. 
Carnations tendres et douces mains sans cales. 
Tout court et se taille dans la voix tranquille. 
Une voix qui flue mais sans refuge et s’aspire à contre courant. 
Elle est moins frêle mais plus grasse. Elle trace et fait du sur place.
La voix royale de l’extérieur est une voix profil de face. 
Une voix qui fait place et déplace en demi-règne, en attendant que s’enfreigne les coutumes arides des forêts.

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