
Immédiatement, il cessa de s’intéresser à la question du bonheur. D’abord, parce qu’il faisait froid et ensuite parce qu’il était sorti insuffisamment couvert.
Il avait commandé une lentille de rechange pour l’appareil photo de son téléphone portable, avec un kit de réparation, le tout en ligne, en quelques minutes, tranquillement assis dans l’espace de Co-working de la rue Grenetta, en attendant que les filles aient terminé leur cours de modelage.
Il avait choisi de parler de lui à la troisième personne. Ou plutôt, il n’avait pas choisi: il ne s’agissait plus de lui. Il y avait plusieurs référents à ce « il » à ce « lui ». Cela passait d’un « il », qui était lui, à un autre, qui ne l’était pas, ou plus ou pas encore. Par exemple, lorsqu’il pleut ou bien lorsqu’il faut. Si je dis qu’il est telle heure, ce n’est pas de lui que je parle et « je », c’est peut-être lui, justement.
Le mois de juin est froid, se rappela-t-il. Le mois de juin est généralement froid et pluvieux.
Le mois de mai est froid aussi. Avril est souvent suffoquant.
D’où, sans doute le proverbe: Il ne faut pas se découvrir d’un fil parce que justement, le mois d’avril étant suffoquant, se découvrir est tentant.
Le problème, c’est que les mois de mai et de juin, qui suivent, sont généralement glaciaux. Pour ne pas dire arctiques, se dit-il. À quelques éclaircies près. « Fais ce qu’il te plaît » doit-être entendu comme un conseil ironique, se dit-il. Fais bien comme tu veux, se dit-il.
Lorsqu’il fait douze degrés, rien ne t’empêche de te balader en maillot de bain, évidemment. Rien, sinon ton propre bon sens, s’était il dit.
Bien sûr, il y avait le père de L., par exemple, qui, tous les jours de l’année, qu’il vente, grêle, neige ou fasse beau, portait la même chemise de bûcheron, assez largement ouverte au col, manches relevées jusqu’aux coudes, se dit-il. Et je ne me souviens pas l’avoir vu, ne fut-ce qu’une seconde, esquisser la moindre grimace, en aucune circonstance, pas même lors des plus terribles froids, se dit-il.
Mais c’était une exception.
Il y avait ce moment décisif où l’on quittait les chaussures fermées pour les sandales, où l’on cessait de mettre des chaussettes. Et ce moment reculait de plus en plus tard. Nous étions en juin – en juin bien frappé – et chaussettes dans chaussures fermées demeuraient de rigueur.
Il était allé voir, avec R., le dernier film d’A.C. hier soir et en sortant, vers vingt deux heures trentes, il faisait froid et humide. Le film n’était ni gai ni triste mais il y était question de mort, essentiellement. Et la journée n’avait pas été facile non plus. Il y avait eu des épisodes, des déconvenues, des inquiétudes, des motifs d’angoisse mais il n’était pas homme à se laisser abattre pour si peu.
En rentrant, ils se préparèrent des fusili complètes biologiques à l’arrabiata, R. ayant attrapé un poivron rouge à l’étal de l’épicerie en bas.
À l’instant encore, il pleut.
Puis juillet sera chaud et souvent couvert. Août tiède et pluvieux. Septembre médiocre. Octobre certainement assez beau et chaud et la chaleur durera peut-être jusqu’à mi-novembre. Ensuite, décembre sera vraisemblablement tiède et pluvieux. Janvier maussade et modérément froid. Février assez froid avec du beau temps. Mars glacial avec quelques beaux moments et hop, l’on se retrouvera en avril et sa canicule.
Une longue et morne saison. Tiède et humide, avec quelques coups de vent.