Le beau temps et la tièdeur nous sont tombés dessus sans crier gare.
Evidemment, je m’étais préparé au grand froid tourquénois; j’étais donc en nage avec mon manteau d’hiver, mon pull et mon écharpe.
21 °C. Dans une ambiance de crise paranoïaque et de plan vigipirate niveau rouge.
Etant mal rasé, je suis certainement un peu suspect et les policiers en faction sur le quai me demandent de me mettre sur le côté et d’ouvrir ma valise.
Je suis obligé d’exhiber ma trousse de toilette et mes chaussettes de rechange. C’est un peu humiliant mais je m’y prête de bonne grâce. Ai-je le choix ?
Dans le train de 7h58, que je prends tous les lundi pour me rendre à Tourcoing, j’aime lire le journal d’un bout à l’autre. Parfois je commence par feuilleter une revue mensuelle consacrée à des appareils informatiques et j’ai envie de tout acheter.
Je glâne ça et là d’épatantes et indispensables astuces pour mieux utiliser mon ordinateur ou tel éclaircissement sur des bizarreries parfois inexplicables dans son fonctionnement.
Par exemple, j’apprends que si l’icône en forme de drapeau située dans la barre des menus qui représente le type de clavier sélectionné bascule à chaque démarrage sur le drapeau américain, il s’agit là d’un bogue répertorié du système provoqué par le fait que le nom de fichier du fond d’écran sélectionné ne se termine pas par « .jpg ». C’est très utile à savoir, comme on peut se le représenter.
Ensuite donc, je me plonge dans le journal et je décide, tout en lisant, quelle sera la note sur laquelle je commencerai mon cours de 10h00 avec les élèves de deuxième année. Cela dit, la plupart du temps, j’ai tout à fait oublié en quoi consistait cette note lorsque le cours commence réellement et c’est généralement une remarque faite par l’un des élèves ou quelque considération sur le temps qu’il fait qui lui servira, en fin de compte, de point de départ.
Dans le train de 7h58, je ne peux pas lire autre chose que le journal ou des revues mensuelles consacrées à du matériel informatique. Pas de roman, pas d’essai, rien de trop prenant. Il est nécessaire que mon esprit puisse divaguer à son aise et que ce que je lis n’ait pas trop d’importance.
En revanche, dans le train du retour, le mardi (qui part de Lille entre 17h30 et 19h selon les jours), je n’ai pas du tout envie de lire le journal et il m’est plus agréable d’écrire ou d’être absorbé par la lecture d’un livre que je continue de lire, au risque de percuter quelque obstacle, en marchant sur le quai, en prenant l’escalator, en oblitérant mon ticket et en faisant basculer la barrière rotative de l’entrée du métro, sur le quai du métro, dans la rame, dans les couloirs de correspondance, sur le second quai, dans la seconde rame de métro, dans la rue, dans l’ascenseur, sur le pallier, pour ne finalement le lâcher qu’étant entré et pour déposer mes affaires et retrouver une existence normale.
Le cours du matin est souvent décevant. Les élèves n’ont pas travaillé. Par exemple, la semaine dernière, je leur avais demandé de faire une revue de presse et rien… Cette semaine, peut-être avaient-ils préparé quelque-chose mais comme il y avait des travaux à regarder, nous n’avons pas eu le temps d’aborder la question. Je suis amené à sermoner beaucoup les élèves de deuxième année. C’est fatiguant.
L’après-midi, le cours de première année est plus expérimental. Parfois, je me ridiculise. Par exemple, la semaine dernière j’ai éclaté en sanglots en lisant aux élèves Le discours de la servitude volontaire de La Boétie. En fin de lecture, j’étais obligé de m’interrompre pour reprendre mon souffle et boire de l’eau. Du coup cette semaine, à chaque fois que je m’apprête à citer un texte, les élèves se demandent si je ne vais pas me mettre à pleurer… Nous avons aussi regardé le début de El de Bunuel, dont j’ai laissé le DVD à C.L. pour que les élèves puisse le visionner intégralement pendant la semaine.
Lundi soir, jury avec T.M. et V.M. Nous voyons trois élèves de cinquième année afin de déterminer s’il est opportun de les présenter au DNSEP. Après d’âpres discussions avec chacunE d’entre euxELLES nous décidons d’émettre trois avis positifs. Je suis fier de l’énorme progrès fait par A.B. depuis notre rencontre la semaine dernière, même s’il me paraît difficile d’aller jusqu’au bout du travail qu’elle a entrepris d’ici la fin de l’année. Nous sommes convenus de nous voir tous les mardi pour faire un point sur son travail.
Mardi, rendez-vous avec A.B. puis installation de logiciels avec T. qui s’occupe de moi comme une mère, me nourrit, m’apporte du chocolat, des pommes, des sandwiches. Rendez-vous divers.
Le printemps revient. Je prends le train de 17h30, plongé dans La recherche.
Cinémathèque, avant-première de Triple agent, le nouveau film d’Eric Rohmer. Film très curieux, ingrat au moment de sa vision, mais qui travaille étrangement. Bousculade épouvantable et désagréablement mondaine à l’entrée. On se croirait aux bains-douches. Eviter ce genre de soirée à l’avenir. Vraissemblablement, j’irai revoir le film en salle, plus tranquillement. A la sortie nous retrouvons E.G. qui est en plein tournage et assez épuisé, mais non moins hilare et les frères G. dont je prend des photos pour me souvenir, à l’avenir, qui est L. et qui est D.
Ce matin, passage de P.B., venu emprunter du matériel son pour son tournage et que nous avions aussi croisée hier soir. Nous parlons du film en prenant le café.
Tandis que j’écris, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet passent à la radio. Je n’entends pas vraiment ce qu’ils disent, incapable de me concentrer sur deux choses à la fois, mais je reconnais la musique.