UNE DÉCLARATION

Comme dirait France Gall.

Bon, j’avoue que j’ai mis un petit moment à accepter l’idée que pour renforcer des fenêtres par un châssis de 5cm d’épaisseur il faille remplir et déposer en mairie un dossier de 50 pages.
Ca ne me semblait tout simplement pas raisonnable.

Mais une fois que l’on s’est fait à cette idée, eh bien on le remplit ce dossier et puis on le dépose et donc c’est une des choses que j’ai faites aujourd’hui.

Avant cela, j’avais déposé C. à l’école, j’étais allé prendre un café avec P. à 9h30, en profitant pour lui rapporter caméra et pied empruntés la semaine dernière pour l’interview de C.B., puis j’étais rentré, justement pour travailler à ce fichu dossier, l’abandonnant pour aller chercher C. à l’école, le temps de manger un Unagi Don (et elle deux portions de Sashimi saumon). On lui a aussi acheté une paire de baskets Spring Court en soldes à 59 €, quand même.

Ah – et j’ai oublié de dire que j’ai enregistré des voix témoins pour Y., qui me trouve mauvais comme tout, alors j’essaye de l’imiter pour qu’elle ait au moins un truc dont elle puisse se servir. Mais je ne sais même pas si ça lui rend vraiment service. En plus il paraît que le son est à chier.

Puis j’étais rentré pour terminer, j’avais pris le métro pour Montreuil, déposé ledit dossier au service de l’urbanisme, 3, rue de Rosny, puis j’étais rentré à Paris, direction l’UGC Cité Ciné les Halles pour voir le Kaurismaki dont je sors en joie avec envie d’embrasser tout le monde dans la rue. Je distribue tout ce que j’ai dans les poches à tous les mendiants qui passent, c’était la journée pour me taper. Trop tard, c’est fini.

Sur le chemin, comme par un fait exprès, je tombe coup sur coup sur C.P. et sur I.I. avec qui, par deux fois, je papote comme une toupie.

Puis trois courses chez Franprix et je rentre nous préparer du colin au lait de coco avec un riz pilaf qui tue. 

Voilà. Et puis après on fait des cadavres exquis avec C. jusqu’à ce qu’elle tombe de fatigue.

Il y a pire comme journée.

ADIEU AU PÈRES

Ca y est, me suis-je dit, ce sont les vieux qui meurent.
Ce sont les pères qui s’en vont et ceux qui viennent ce sont les enfants.
Un royaume d’enfants, me suis-je dit.
Il n’y a plus de pères, plus de place pour les pères. 
Ce monde, ils ne peuvent plus le supporter, ai-je pensé.

C’était cela que racontait Logan.
Et cela, c’était terriblement triste, terriblement désespéré; mais aussi, il y avait un espoir, derrière la frontière. Un ailleurs encore.
Il fallait d’abord en terminer avec les pères, en commençant par les plus vieux.
Et la croix deviendrait un X. On prierait d’autres dieux quand toutes les familles auraient été décimées. Quand tous les bénédicités se seraient tus. 

Les « X men » c’était l’état de mutant comme métaphore de l’adolescence mais sous le regard d’un père bienveillant (et télépathe, ce qui ne gâte rien).

Logan, c’est la dernière balade de Xavier et Wolverine. X et W. Comme chez Pérec.
C’est un peu l’âge de cristal. Et Xavier est atteint d’une maladie d’Alzheimer. Et Logan a probablement chopé un cancer du poumon, à force de s’envoyer tous ces cigares.

C’est un peu notre monde, où les structures patriarcales sont en manque de père et où les frères sont ennemis et se déchirent, m’étais-je encore dit. Mais ça, tout le monde l’avait compris.

Cela faisait symptôme, l’on était passé de l’autre côté du miroir.
Il fallait maintenant franchir la frontière, passer le Rubicon. Le Styx.
Et ne pas se retourner.

IMPLANTATION

Ce matin, j’étais allé faire un peu de gym après avoir déposé C. à l’école.
Mais, à cause de la séance à haute intensité de dimanche, j’avais trop de courbatures pour faire un circuit complet et me suis contenté de 15 mn de vélo elliptique, d’un parcours dos et de quelques assouplissements.

Ensuite, je repasse à la maison pour déjeuner. J’imprime le devis de G.P. et sors.
Je vais travailler une petite demi-heure – une heure à une terrasse avant d’aller voir Logan à l’UGC Ciné Cité Les Halles à 14h20.

En sortant, je file à Barbès où j’ai rendez-vous avec G.P. dans un studio rue du Delta.

On visite les salles de montage, de montage son, l’auditorium de mixage et la salle d’étalonnage. G.P. me fait observer les détails de la conception et du traitement acoustique puis nous allons au café regarder plein de photos de studios qu’il a réalisés et mettre en place le planning de travail.

G. connaît la terre entière. Partout où nous allons, on rencontre des gens qui ont travaillé avec lui il y a 25 ans. Il a fait tous les métiers du cinéma.

Jeudi, Y. vient percer les trous pour la clim et il installe la machine en début de semaine prochaine. À partir de là, tout s’enchaîne pour une fin de chantier prévue pour le 15 avril.

Rentré à 20h15, juste à temps pour préparer le dîner.

Vanné.

CONTRACTION

C’était une journée de démarches.
Pour commencer, après avoir déposé C. à l’école, je suis allé à l’URSSAF de Montreuil pour faire inscrire officiellement le changement de siège de la société C.A., artiste vers la nouvelle adresse à Montreuil.

Ensuite, j’ai épluché les diverses propositions de crédit et jeté mon dévolu sur celle de CETELEM, afin d’être en mesure de financer le chantier en attendant les remboursements de TVA.
Je remplis le dossier et renvoie le tout avant 16h.
Ensuite, je vais chercher C. à l’école et nous allons au conservatoire où elle a sa leçon de piano du lundi.

Énormes progrès. Belles positions de main. Pulsation interne. Écoute. J-L est très content et moi aussi. Ensuite, nous avions prévu d’aller acheter des chaussures mais j’en ai marre d’acheter des trucs, j’ai envie de rentrer et puis nous avons faim. On passe faire quelques courses et on rentre.

En préparant le rôti de porc, je repense à un truc que me racontait A. hier en marchant entre Strasbourg St-Denis et Etienne Marcel. Cette envie de créer une maison des femmes pour que les femmes vivent entre elles et je me dis qu’il y a là une super-idée de série avec différents couples dont les hommes décident de vivre entre eux et les femmes entre elles, tout en continuant de se voir, de s’aimer, d’avoir des gosses, etc.

Y. va voir la pièce d’Y-N.G. Avec C. on joue à Recto-Verso, puis lavage de dents et maintenant, nous allons voir quelle aura été la vengeance d’Hélios, après que l’équipage d’Ulysse a boulotté deux ou trois de ses bœufs blancs. Je crois que ça va chier.

RENDEZ VOUS DE CHANTIER

Ce matin, rendez-vous à 9h30 avec G.P., son frère M., l’électricien et Y. le frigoriste.
Les plaquistes débarquent peu de temps après.
J’arrive avec C. vers 9h15 et les frères P. sont déjà là avec leurs motos.
Easy rider.

Il fait beau, très beau.

J’avais été réveillé vers 5h par les oiseaux et maintenant c’est le soleil.
On reste une bonne heure dans le local, à faire des dessins, à prendre des mesures, à imaginer des trucs, des astuces, à étudier les plans, les angles, les formes, la lumière.

On va faire un tour sur la terrasse avant de partir.
C’est déjà très vert.
Il y a des chantiers un peu partout aux alentours. 
Ca se construit, Montreuil, ça change.

C. veut absolument regarder les frères démarrer sur leurs motos et puis on rentre dare-dare pour accueillir S. qui vient déjeuner avant l’anniversaire de M., qui a lieu à Montreuil, justement, à l’île de Robinson. Avant le rendez-vous avec les parents et enfants, on va manger des hamburgers en face et on s’en met partout, surtout moi.

Pour faire passer cette indigestion, je vais faire un peu de gym. Je ne suis pas au meilleur de ma forme mais ça me remet un peu d’aplomb.

Ensuite, aller chercher C., faire trois courses et rentrer faire une soupe marocaine.

On passe un peu de temps avec C. à faire des photomontages pour les mois de décembre, janvier et février. 

Il est 22h30 et elle ne veut toujours pas dormir, prétextant le souvenir d’un film qui lui a fait peur. Grrr…

RETOUR DE LA LUMIÈRE

Nous étions allé boire un verre à L’Abordage, hier soir avec V. Un verre de rhum après quelques verres de vin rouge bus en dînant au Red House, juste avant. Steak tartare et mousse au chocolat.
Sur le chemin du retour, je tombe sur un pont levé que je dois contourner.

Ensuite, je m’endors rapidement en écoutant la radio.

Ce sont de vieilles émissions, qui passent la nuit sur France-Cul et c’est drôle comme les speakers font traîner les syllabes finales. 
Les syllaaaabes finaaaaales.
Le seul qui fait encore ça, c’est Finkielkraut.

Ce matin, calme. Quelques rendez-vous impromptus et travail sur un article.
Vers midi maffé et jus de gingembre à La Calebasse.

Étant donné que j’ai poussé une gueulante par écrit, à peu près tous les étudiants de troisième année sont là et à peu près à l’heure.

On termine tôt.

LA 103, SON JARDIN D’HIVER, SON JOUR DE SOUFFRANCE

Son jour de souffrance, mon jour de souffrance, nos jours de souffrance. De sous France.
Dunkerque, il fait beau.
Au moins, il fait beau.
Il n’y a pas grand-monde en cours ce matin.
D’abord personne, puis M., puis X., puis A.
Puis c’est tout.
Alors on fait des chansons.

Pour M., c’est une brute dans une cage sous la surveillance d’un sadique qui se venge et ça donne des coups sourds, une basse-drone et des raclements de métal.
Pour X., c’est une salade et on enregistre des sons de cuisine, dont on fait une rythmique.
Pour A., c’est un poème de Pouchkine, dont on fait de la country et on écoute des vendeurs aux enchères Amish, qui scattent comme des guimbardes folles.

Tout ça fait quatre heures.
Jour de souffrance.
Après c’est le menu 9 au Tokyo.
Toujours le menu 9.
Et le riz est toujours aussi mauvais.
Il faut que je trouve mes protéines ailleurs.

Ensuite, c’est corrections de la détection par X. de l’interview de C.B. puis un saut à la Plate-Forme pour voir Z.Y. et discuter avec elle au café de son projet de mémoire.
Il fait toujours beau.

Il fait toujours aussi beau, dans le coucher de soleil, en rentrant.
Toujours beau mais la nuit tombe.

Je termine d’écrire ça et je vais dîner en ville.
Je ne sais pas encore où mais ensuite j’irai boire un verre avec V.

Ce matin à cinq heures, quand je me réveille, un petit lutin m’attend dans le noir avec son peignoir de boxe à capuche pointue. C’est C., qui ne dort pas et reste près de moi jusqu’à mon départ à six heures dix, malgré mes remontrances et mes ordres d’aller se recoucher.

J’imagine son état à neuf heures du matin.
En fait non, je n’imagine pas.
On ne peut pas imaginer.

COMMENT ÇA VA DEPUIS VINGT SEPT ANS ?

Il y a vingt sept ans, lorsque, préparant le concours d’entrée à la FEMIS, j’ai pris contact avec lui et que je suis venu le photographier à l’aveugle dans son atelier de l’école des beaux-arts de Paris, C.B. devait avoir à peu près l’âge que j’ai aujourd’hui. 

Aujourd’hui, dans l’atelier, on se fait voir en Tasmanie. En vrai. En vidéo (mais sans le son).
On a le droit d’en douter, bien sûr. Il n’y a pas de preuve.
Pas de photographie du Bartlebooth morbide qui attend son cadavre.
Qui peut-être, on l’espère, perd son pari.
Et si c’était tout simplement mise en scène ?
Le doute est permis.
Le doute participe de.

À la faveur d’un entretien réclamé par X.J. pour un magazine de photographie chinois, nous sommes allés, avec Y., à Malakoff en début d’après-midi, rencontrer C.B. . Incroyablement pro. Très gentil, aimable et drôle mais glaçant de professionnalisme. Tout le discours est verrouillé, comme sur des roulettes. Ca rend obéissant. Et puis je suis discipliné: je pose mes questions chinoises.
J’avais eu envie de parler cuisine, de parler voyage, mais voir fonctionner l’organe de communication huilé se révèle fascinant et j’oublie tout.

Je repense à la fausse interview de Sophie Calle par Claude Closky, dans laquelle les questions sont des réponses de Sophie Calle à des interviews précédentes reformulées en questions si bien que les réponses supposées de Sophie Calle se bornent à des « oui » et des « non ».

Ce n’est pas qu’il n’est pas sincère. 
Il l’est. 
Il n’est pas autre chose que ce qu’il décide d’être et ainsi il est, donc, ayant décidé de n’être que cela mais de l’être absolument et en connaissance de cause.
Il semble savoir exactement ce qu’il est, ce qu’il en est, ce qu’il dit et ce qu’il fait. 
Et cela, c’est tout à la fois assez glaçant et absolument admirable.
Bien sûr, il y a la gentillesse, le bon sourire, le charme, les anecdotes (le baron de Palerme assigné en résidence par la maffia dans un grand hôtel sous peine de mort).

Il parle d’un très beau projet avec des trompettes sur des poteaux dressées face à la mer en Patagonie et dont la forme est calculée pour produire, avec le vent, un chant similaire à celui des baleines, avec lesquelles on se propose de converser parce qu’elle possèdent le secret cosmique primordial. 

Un réflexe de promotion incroyable en fin de bande: l’annonce d’une exposition à Shanghai en 2018 à la Power Station of art de Shanghai. 
Absolument idoine. 
On aimerait être comme cela. 
Avoir cet à-propos, posséder ce degré de préparation, cette économie de parole. 

Je repense à J-C.C. qui était un peu comme ça aussi (qui l’est encore, d’ailleurs, probablement). Avec ce même air d’ennui triste et gentil de qui a répété un million de fois la même chose, dans le même ordre, parce que tout simplement il a été décidé une bonne fois pour toute que telle était la ligne. 
Avoir une ligne, mon général. La séduction glacée de la ligne.

Bon, mais ça m’a fait drôlement plaisir quand même de boucler la boucle et les trompettes, les battements de cœurs au Japon, Bartlebooth qui regarde, tout ça est bel et bon.

Là-dessus on rentre tôt. 
Tout cela est bouclé dans un battement de cil. Il fallait aller vite. 
On sentait que le temps était compté. 
D’ailleurs j’ai oublié de faire le point et du coup j’ai du recourir à un effet de netteté qui donne à l’image une qualité un peu sale, celle d’une vidéo de surveillance, ce qui n’est pas plus mal. 

Ce soir, C. est très en demande d’Harry Potter. On télécharge mais soudain, les foies devant ce qui ressemble à un gros fantôme dans la forêt.

Y. est allée à un rendez-vous alors on dévore des gâteaux de riz au lard fumé avec des choux de Shanghai, on se choisit des chouettes programmes sur la brosse-à-dent (elle douceur-massage, moi blancheur-anti-tartre) et on va lire l’épisode où Ulysse se fait attacher sur le pont pour écouter les sirènes.

Demain Dunkerque.

MIROIRS AUX ENFANTS RONDS

Ce matin, après avoir déposé C. à l’école, je vais faire un peu de gym (circuit cardio minimal et spécial dos) puis je retourne voir Yourself and yours au Reflet Medicis.
Cette fois-ci j’ai un cahier sur les genoux et j’écris sans cesse.
Je prends en note la description de chaque plan et d’une partie des dialogues.

Je note, par exemple, les arrêts et départs de musique.
Elle entre avec le fondu d’ouverture, lent depuis le noir. 
Comme si l’ampoule du projecteur chauffait.
Comme si l’on venait juste d’allumer ce projecteur.
Le son est nettement sous-modulé.
Comme si l’on avait oublié de monter le son.
Comme si le fait que le film est commencé était mis en doute.
Les cartons sont un peu trop pixelisés pour être honnêtes.
On doute même des cartons.
L’arrangement musical est minimal. Ce sont des instruments MIDI.
La musique s’arrête sur l’ouverture de la porte de l’atelier par l’ami en short aux lunettes.
Short lunettes et t-shirts verts.
Enfant par le short, enfant par les grosses lunettes rondes, par le vert pomme pétard du t-shirt. Enfant au cube.

Dans la séquence qui suit, Youngsoo est dans son atelier. Il est peintre mais on ne voit pas ce qu’il peint. L’ami aux lunettes rondes est avec lui.

La manière dont l’ami aux lunettes rondes regarde Youngsoo, puis Minjung est un redoublement du spectateur et du directeur d’acteur.
Il est souvent au milieu de l’image pour regarder les autres et leur donne des indications minimales.

Comme un spectateur encourage un personnage ou s’énerve après lui.
Comme un metteur en scène dirige un acteur sans faire le travail à sa place.
Miroir pour nous. Miroir-enfant rond des enfants ronds que nous sommes.

Il est question de la mère du peintre, qui est sans doute en train de mourir.
L’on se dit que cela va être un thème majeur du film.
L’on se trompe.
Cette situation ne sert qu’à justifier le fait que Y. était absent (auprès de sa mère) tandis que sa fiancée, Minjung était restée en ville.
La référence à la mère mourante sert à éloigner M. de Y. (elle ne vient pas avec lui dans un moment pareil). 
« De toute façon vous n’allez pas vous marier » dit l’ami aux lunettes.
Et pourquoi pas ?
Vous n’allez pas bien ensemble. Tu n’as pas le chic avec les femmes.
Jusqu’au pot-aux-roses.
On l’a vu boire, au Goldstar et se disputer avec un type.
– Pas possible. Elle a arrêté. Je compte ses verres. Elle a droit à cinq verres.
– Tu comptes ses verres ?
– Oui, c’est nécessaire. L’alcool est dangereux.
– On l’a vue.
– Je lui demanderai.

Ensuite, c’est le soir.
Un autre type.
Coiffure de rocker.
Cheveux gris.
Sur un petit vélo pliable.
Enfant par son vélo. Enfant par sa coiffure. Son sourire aux yeux tombant. Droopy.
Il n’est pas agile, sur son vélo. Le vélo paraît trop petit.
Une femme l’interpelle, lui propose un verre, je ne sais quoi. Il refuse, il doit faire un tour. Il s’éloigne.

Il entre dans un bar.
Demande un « américano ».
Zoom avant.
Il a vu quelque chose. Quelqu’un.
C’est elle.
Minjung.
– Minjung ? – il fait.
– Pardon ? Elle répond. On se connaît ?
– Qu’est-ce que tu racontes, Minjung ?
– Pourquoi est-ce que vous m’appelez Minjung ? Qui est cette Minjung ?
– Arrête ton char.
– Je ne vous connais pas et je ne connais pas de Minjung.
– Vraiment ?
– Vraiment.

Emmerdé, le type sort, avec son vélo et son « américano » pour fumer à l’extérieur.

Il revient.
Elle rit. S’excuse.
– J’ai une sœur jumelle qui s’appelle Minjung. Excusez moi, mais on n’arrête pas de m’aborder en me prenant pour elle.

Ils partent ensemble.

Elle rentre seule.

Chaque séquence est un plan. Un seul plan.
Un continuum ponctué par des zooms et des panoramiques.
Il y a trente six séquences et donc trente six plans.
Trente six chandelles.
Avec des noirs, un peu, de temps en temps.
Deux ou trois fois.
Et puis les cartons.

Etc.

Je prends des notes pendant tout le film, en me servant du téléphone plaqué contre le cahier pour éclairer la pointe du stylo.
Lorsque la lumière se rallume, je m’aperçois qu’une femme derrière moi a aussi pris des notes mais nous ne nous parlons pas.

Après, je file chez R.B., qui a préparé de la soupe, du fromage et des pommes.
On mange un morceau en discutant puis j’ausculte ses Mac et répare ses problèmes de mails et de système. Ca nous prend tout l’après-midi. Il faut mettre à jour le système et les logiciels. On termine à la maison.
Ensuite, on va acheter des gnocchis avec C. et on se prépare à manger.

Dîner puis sept familles et brossage de dents.

J’ai dit à A., l’institutrice, que je viendrai demain matin à l’ouverture aux parents. C’est à neuf heures. 

Et maintenant un peu de lecture.

RÊVERIES DE TRAMADOL

J’avais mis le réveil à 7h00, dans l’intention d’aller faire un peu de sport ce matin, après avoir déposé C. à l’école et patatras, à peine ai-je roulé sur le côté que je comprends que ce n’était pas le jour. Torticolis et tout le haut du dos absolument bloqué.
Décontractant et Tramadol.

Je passe la journée entre des courses – à la recherche de « La vie impossible » de C.B., que je dois interviewer mardi pour le compte de J.X., et emplettes de protéines diverses – et des siestes méditatives provoquées par l’anti-douleur.
L’ankylose circule d’une épaule à l’autre, diffuse dans les bras.
Dans cet état chimique, les rêves ne parviennent pas à une consistance suffisante pour se solidifier en langage. C’est un état de rêverie sans rêves. Un dessin sans traits.
Proche, j’imagine, d’une ivresse d’opium. Il y a même une amorce de nausée – mais aussi j’avais bu du café – passagère, heureusement. 

J’essaye de me fixer sur des objets de réflexion mais rien ne tient et c’est donc ce rien que je considère. J’examine le rien et c’est plutôt rafraîchissant. 

Onglet, piment, alfalfa et pousses de roquette, fromage blanc, coriandre fraîche.

Quelques mails, John Dewey, lectures d’entretiens de C.B., jeux cognitifs, Sense 8 saison 2 mais j’ai du mal à m’y intéresser. J’ai du mal à m’intéresser à quoi que ce soit d’américain en ce moment. J’ai l’impression d’entendre s’entrechoquer de gros sabots.

Hier, dimanche, pluie et mixage avec P.G. Nous terminons les travaux pour l’exposition « Terra Data » vers 16h et je file à Montreuil pour une mini-AG extraordinaire où m’est accordé le droit de faire des trous dans les murs pour permettre le passage de conduits d’aération en vue de la climatisation du futur studio d’enregistrement. Halleluia. 

Je ne reviens pas forcément plus avant en arrière. Qu’il me suffise de dire qu’il y eut un samedi et qu’il y eut un dimanche.

En fin de journée, j’appelle C.B., comme prévu, et il est finalement décidé de reporter l’interview à mercredi 15h. 

Demain matin, je ne pense pas être encore en mesure d’aller faire de la gym, mais si je m’en sens capable, en tout cas, je ne serai pas loin puisqu’à 11h35 je me propose d’aller revoir le Hong Sang soo en prévision d’un article commandé par R.B. pour Trafic.

LES TEXTES SONT AU MONDE

D’abord – j’écris d’abord parce qu’il faut bien commencer par quelque chose mais tout cela est sans ordre, simultané, cyclique, récurrent – je conduis une voiture dans une agglomération en chantier. Des ruelles croisent des bretelles d’autoroute. La largeur des voies varie d’un extrême à l’autre, le sens de la circulation n’est jamais sûr et des chicanes apparaissent soudain. 

La situation se trouve compliquée du fait que, pour une raison oubliée, je n’ai pas vraiment la possibilité d’utiliser mes mains et qu’il me faut organiser les mouvements du véhicule en donnant de grands coups de rein. D’autre part, je n’ai pas accès aux pédales non plus et je n’ai pas souvenir d’un volant ou d’un quelconque accessoire dédié au pilotage. Et pourtant, je roule et, miraculeusement, personne n’est écrasé.

À un autre moment, je me promène dans cette ville, qui pourrait être Pékin, mais ce n’est pas Pékin, je sais que nous ne sommes pas en Chine, bien qu’à proximité de la Chine. Nous sommes en vue de la Chine, mais nous ne sommes pas en territoire chinois. Nous sommes un groupe de promeneurs et soudain un immeuble s’effondre. Un immeuble gigantesque. Si haut, large et lointain qu’il semble fait de vapeur. L’on dirait d’un nuage qui affecterait la forme d’un immeuble. Mais ce qui donne cette impression de nuage, c’est précisément le fait qu’il s’effondre, qu’il tombe en poussière.
Une poussière dense, lourde, massive, qui tombe sur nous depuis une hauteur impensable, une distance impossible à évaluer et nous nous abritons comme nous pouvons avant d’être submergés par le déluge de pierres et de béton pulvérisé.

Et pendant tout ce temps, dans un autre espace mental coextensif, je me trouve en villégiature dans une vieille demeure aux installations vétustes. C’est une maison qui devait être luxueuse au XVIIe siècle. Elle possède des secrets fabuleux. Tout un réseau hydraulique. Les murs contiennent du charbon pour le chauffage. Tous ces systèmes sont hors d’usage et fragilisent l’édifice.
Je suis en conversation avec un type d’une jeunesse, d’une beauté et d’une énergie formidables, qui me propose une sorte de jeu de piste, à travers une succession d’images, de phrases, de documents. Ca commence par un tableau représentant un groupe de jeunes femmes en costumes de religieuses. Ce pourraient être des nonnes ou tout simplement des jeunes femmes qui font leurs études dans un couvent. Je ne me souviens plus des images intermédiaires mais ce qui est important dans l’image, pour mon interlocuteur, ce sont les femmes. Il met cette image en rapport avec une phrase mystérieuse trouvée dans un des livres de la bibliothèque: « Il recherchait ce qui, ayant touché l’ombre, avait acquis l’expérience et le goût de l’onde. »

Mon interlocuteur se moque de moi qui n’ait pas compris que le goût de l’ombre, le contact de l’ombre font explicitement référence à la sexualité et que ce qui est recherché par le narrateur dudit texte ce sont des femmes nanties de cette expérience-là, dont il croit déceler un exemple parmi les jeunes femmes en costumes de bonnes sœurs du premier tableau.

Je réponds que les textes sont au monde. Qu’ils y sont pour une raison qui dépasse leurs auteurs et leurs lecteurs et possèdent une part essentielle et absolue de vérité qui – de même – échappe essentiellement à tous, même s’il est permis d’en apercevoir tel ou tel fragment, à la faveur d’un éclat de lumière, d’un malentendu, d’un hasard, d’un angle inattendu.