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Il pleut, puis il fait beau. Il fait chaud, puis il fait froid.
C’est comme ça. On ne sait plus comment s’habiller, madame.
On ne sait plus.
On traverse le parc des Guilands avec N. en sortant du mixage hier vers 18h30.

J’étais content parce que les 30 dB qui me manquaient dans le caisson de basse étaient en réalité dus à un défaut de sensibilité de mon sonomètre en dessous de 125 Hz. Ce qui revient à dire que le caisson va bien, que la puissance est bonne, que la pression acoustique est là et que ce sonomètre doit être remplacé séance tenante.

Dès que j’aurai un centime à mettre devant l’autre.
Pour l’instant, ça va.
Et puis, un jour, il me faudra un bon préampli micro.
Et puis ensuite ce sera du luxe.
Ou de la mise à jour.

Je parle matos soudain, c’est curieux, me dis-je.

Et donc, comme j’arrivais à Gallieni, voilà que bro m’écrit: « je suis là dans cinq minutes ».
Sauf que je n’y suis plus.
Alors j’y retourne, avec le 122.
Et c’est reparti jusqu’à 21h30 à enregistrer et éditer la voix de C. pour la version anglaise du teaser de DATA 2.
Après, direction le bouillon Julien où le niveau d’ambiance avoisine les 80 dB.
On ne s’entend pas à moins de hurler d’un côté à l’autre de la table.
P. parle. J’attrape des mots, sans pouvoir reconstituer toute la trame.
Il est question de tatouages, je crois.

Nous mangeons des saucisses et de la purée. C. a pris du bouillon.
Au dessert, c’est mousse au chocolat pour P. et moi. Blanc manger pour C.
Avec une bouteille de Croze Hermitage 2016.
Bro nous invite.
C’est chic.
Dans le métro, il est question de la barbarie du système « parcours sup ».
De technique et d’anxiété.
Et puis à Riquet on splite.

Avec R., on regarde le dernier épisode de la dernière saison de Treme et puis il est deux heures du matin et c’est malin.

A midi, on avait pris le plat du jour au restaurant Coréen de la Mairie de Montreuil.
Bulgogui au porc.
Très bon.
On a bien avancé avec N. On mixe nos vingt minutes par jour. Sans concessions.
On reprend jeudi matin 9h30.

LE SUJET N’EXISTE PAS

Ou plutôt, le sujet n’est pas un sujet, me disais-je.
Le sujet est objet de son objet et l’objet est sans intention.
Le monde n’est ni l’effet d’une volonté ni celui d’une représentation.
Le monde est aveugle contingence, rage impuissante, écueil silencieux.

Ils aiment leur colère, ils aiment à s’indigner.
Ils trouvent de la grandeur et de la dignité à s’indigner. Trouvent de la grandeur à rêver de grandeur.
Ils aiment donner leur avis. Ils aiment avoir raison. Alors il n’y a plus de raison, me dis-je.
Faut qu’ça saigne, il disait, faut qu’ça saigne et qu’y faire ?
Ils aiment donner des leçons, ils aiment détester. Ils adorent détester. La haine est leur nourriture.
Ils ont peur, ils sont tristes, me dis-je.
Ils sont tout petits et cela les terrifie, me dis-je.

Ça sent la poubelle, ça sent l’ordure, me dis-je, à l’instant, écrivant dans la salle du restaurant des Bancs Publics.
Et toute cette rue sent l’ordure.
Et toute la ville sent l’ordure.
Il y a de l’ordure dans l’air.
L’ordure persiste, s’étend.
Cela pue, me dis-je.
Cela pue, cela va puer tant et plus. Il faut s’y faire.
Et il n’y a nulle part où aller, me dis-je.
Les portes se ferment.
L’univers se replie.
Il fait noir.

Bon, avec tout ça, il est seize heure vingt cinq et j’ai rendez-vous à la demie.
Il faut se bouger, comme on dit.
Prendre des mesures.
Prendre la mesure des événements.
Et cultiver son jardin.

POURRI DE CHIC

Avec C., après un hot dog et un yoghourt glacé en guise de goûter, nous nous étions mis en tête d’essayer la piscine, qui cumule les avantages d’être bon marché, située à moins de cent mètres de la maison, peu fréquentée, spacieuse, bien équipée et animée par une équipe conviviale.

Après une heure, je parviens à extraire C. de l’eau.

Dure lutte.

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons au Monoprix.

Comme on se le représente, il nous fut impossible de résister à ces magnifiques couverts irisés. Couverts de rois et de reine, constate C., et assortis à son hand-spinner. C’était Aasgard au Pré Saint-Gervais.C’était Mjolnir dans nos assiettes.Les petits plats dans les grands.

Pour fêter ça, côtes d’agneau et riz complet. On regarde l’O.M. en déroute en première mi-temps, d’un œil distrait.

C., vaincue par le sommeil, rejoint sa mezzanine de repos à vingt et une heure trente, me laissant à la contemplation des petits Mickeys filmés de Marvel (d’où les références celtiques sus-mentionnées puisqu’en l’espèce il s’agissait de Ragnarok).

Ce matin, C. se lève tôt et parvient à récupérer son iPod sans me réveiller, ce qui constitue une première.Il paraît que je ronfle.

J’en suis bien marri. Tonte de barbe, coupe d’ongles, pressage de carottes, de pommes, de gingembre et de curcuma.L’extracteur fait trop de bruit, me dis-je. Il me faut un meilleur extracteur, me dis-je. Café, pain complet grillé, pecorino et beurre salé. Il est temps de partir pour l’école.

Pour une fois, on n’est presque pas en retard. Il fait froid. On met nos cagoules.

J’arrive au studio vers 9h30. Café, téléchargements, coups de fils, lecture. Il est temps de s’y mettre.

QUAND T’ES AU BOUT DU ROULEAU

La semaine passée s’est consumée en insomnies, avec les oasis de la présence de R., une sorte de farniente anxiogène et doux, de catastrophe suave, de déroute hédoniste.

Pas un nuage de poussière.
Et la perspective d’un découvert infini…

Il n’y avait rien d’autre, au bout de l’horizon d’attente, qu’un magnifique coucher de soleil.
Et l’on s’était laissé griller.
Rouges vifs, tels des homards, et passés au beurre de karité d’origine non contrôlée.
C’était une belle balade.
Pantin, le canal, la voie.
Les nouvelles constructions, les échoppes, les ateliers, les p’tits bistrots déjà.
On découvre des lieux.
L’Est Parisien, le Grand Paris, c’est là que ça s’invente sous nos yeux.

Plus tard, un autre jour, j’étais passé voir G. dans son studio qui n’est qu’à dix minutes à pied de chez moi. Et l’on était aller boire un verre dans un endroit incroyable. La brasserie Gallia à Pantin, vous connaissez ? Ambiance Mad Max bobo avec des enfants, des bo-buns et des I.P.A.

J’avais écrit à l’école pour rempiler ASAP.
Il me fallait un fixe, comme aurait dit un junkie.

Et puis le travail revient et tout ça est oublié.
Et bientôt l’on se plaindra d’être débordé.
Ainsi va la vie.

Mais il faut écrire davantage. Il faut.
Pour ce soir, on fera court.
C. doit aller se coucher et ce n’est pas un sprint.

C’est une lame de fond.

ÉCRIRE SE DIT-IL

Ce monde rêve de choses futiles, me disais-je.
Plus que futiles, moins que futiles.
Des choses sans épaisseur et sans poids, me disais-je.
Des choses sans substance, fastidieuses.
Ce sont des rêves fastidieux.
Et il est fastidieux même d’en parler.
Fastidieux même d’y penser.
Ce monde fait un long rêve fastidieux.
Ce monde est une vieille baleine fastidieuse, me disais-je. Je ne veux même pas savoir ce qu’elle recèle en ses entrailles, me disais-je.
On ne rêve même plus de naufrage, me disais-je.

Mais, on est en mai, me dis-je soudain.

Enfin, je me disais cela hier déjà. Et l’on était en mai depuis un jour encore.
Hier déjà, je m’étais dit qu’il fallait écrire.
Non, c’est mal dit: je m’étais dit qu’écrire était la seule chose possible. La seule chose pas trop horrible.
Malheureusement c’était déjà presque impossible.
C’était atroce, forcément.
Mais, idéalement, c’était la chose à faire.
Et je m’étais dit que j’aurais pu écrire autre chose.
Des histoires, par exemple.

Laisser des histoires se développer, croître et multiplier, en parallèle.
Voir ce qui allait advenir. Ce qui pourait. Ce que l’on eût aimé.
Bien sûr, ce serait long.
Sans doute interminable.
Mais il n’y avait rien d’autre à faire.
Et certainement, cela n’intéresserait personne.
Mais celà c’était encore une autre question.

Et puis, personne, c’était déjà beaucoup de monde, tant il y avait de monde dans ce monde sans rêve.
Ecrire était encore la moins futile des futilités, bien qu’écrire ne fût que futile.
Et peu importe, me dis-je, m’étais-je dit.
Il suffit, me dis-je, avais-je pensé.
Et il faut. Il fallait. Il aurait fallu.

C’était ainsi, en vacances. On ne savait plus très bien départager le futile du nécessaire.
Et l’on se levait matin, pourtant.
Et l’on se couchait tôt.
On s’effondrait, faudrait-il dire.
Imposible de se concentrer.

Trop de choses futiles et obsédantes dont même parler décourage, auxquelles même penser semble épuisant.
Je m’aperçois que cela semble abstrait, mais cela ne l’est pas.
Seulement même donner un exemple est hors de question.
Ne donne pas d’exemple, me dis-je fermement.

Sinon, nous avions fait sept ou huit heures de route facile le premier mai.
C’avait été comme d’une fleur.
Et puis, le soleil, la chaleur, le printemps.
Mais après il n’avait plus fait aussi beau.
Nous étions beaucoup restés à l’intérieur.
Etions à peine sortis.

Ne pas rentrer dans les détails.
J’avais un travail à faire et je calculais les découverts d’un compte sur l’autre.
L’angoisse matérielle molle m’empêchait d’être hospitalier à la futilité qu’il m’eût été donné de produire, eussent les conditions matérielles été autres, eussent mes conditions psychiques été autres, mais les conditions sont les conditions et tout cela n’a pas de sens.

Les enfants font trop de bruit, me dis-je.

TOUJOURS EN ÉTÉ

Encore une journée à 26°C. 
Ça s’est rafraîchi. C’était parfait. C’était un jour parfait.
Un jour parfait avec R.B.

Nous nous étions réveillés entre huit et neuf heures et c’était parfait.
Il y avait du café frais, du jus de pommes, de carottes et de gingembre frais et c’était parfait.
Des tartines de fromage de brebis à l’huile d’olive parfumée au basilic et c’était parfait.
De la confiture de R., au rhum, avec de l’orange confite et c’était parfait.
Une lumière dans laquelle tout baignait parfaitement.
Un incendie à l’horizon et c’était le seul détail inquiétant. Heureusement, il ne dura pas.
Et l’on partit dans le soleil.

P. annula le pique-nique.
Nous regardâmes la fin du film interrompu par le sommeil et partîmes pour une longue promenade.
Palais de Tokyo puis marche jusqu’à Saint Germain des Prés en passant par l’École Militaire, les Invalides et en consultant les devantures des agences immobilières à la recherche d’un petit cinq pièces de charme dans le 7e arrondissement.

Vers dix huit heures, spritz et pizzas au Vesuvio, puis nous nous séparons et je vais rejoindre R.B. (ne pas confondre avec R.B.) pour deux heures de maintenance-formation informatique.

Puis back-home.
Demain est une autre semaine.
Demain matin, c’est le début de la deuxième semaine de vacances pour C.
Il va falloir inventer quelque chose.
On va faire un plan.
Des plans.

BUFFALO SOLDIER

C’était au temps où le soleil se lève et puis plus tard c’était au temps où le soleil se couche.
C’était une traversée.

C’est traversant.
C’est de part en part.
C’est de part et d’autre.

L’ascenseur était encore en panne. On avait appelé E., qui avait promis, mais ce soir encore: en panne, hélas, en panne encore.
Et j’avais beau m’être levé avec R. à six heures trente, pas moyen d’être au travail avant onze heures. 
Il y a toujours mille petites choses à faire avec mille petites choses dans chacune des mille petites choses et encore mille petites choses dans les milles petites choses des mille petites choses.
Tout cela prenait un temps fou et l’on n’en avait jamais fini.

J’avais descendu les trois poubelles.
Il y avait eu un tram, aujourd’hui. Puis un bus. Porte des Lilas, le cent quinze.
Chocolat, cagé et speculoos.

Je resynchronise le film de P.C.
Dix minutes aujourd’hui. Il faudra aller plus vite demain.
Mais c’est long.
Je fais du café.

Je ne veux plus discutailler.
Ne veux plus justifier, prouver, convaincre, démontrer.
Me retire des réseaux ou ça se castagne.
Me désabonne des listes de distribution où ça vomit.
Au calme, avec un bon bouquin, c’est mieux.

Ne plus discutailler.
Laisser en paix les idéologues et s’en garder comme de la varicelle.
Tranquille.

Dans le métro, il y a un couple de mongoliens qui se font des chatouilles.
Elle rigole à tout rompre. 
Il la chatouille entre le coude et l’épaule. Ils sont comme entrelacés.
Puis elle fait une pause pour appeler sa mère, à qui elle adresse de gros bisous.
Elle sort et il lui écrit un mot d’amour qu’il lit à haute voix.
Ensuite, il se congratule et gagne à un jeu vidéo.

Il y a la vieille dame qui a faim.
J’ai faim, j’ai très faim. Si vous pouviez m’aider. J’ai très très faim. J’ai faim, j’ai faim.

Plus tard, on fait des courses avec C. puis on mange une glace en attendant R. qui nous rejoint.
Puis, plus tard encore, le métro, puis la maison.

C. doit écrire une histoire.
Taper son histoire sur l’ordinateur.
Ca prend des heures.
Le temps d’un lave-vaisselle.

On dîne avant d’envoyer au professeur.
Puis tisane, les dents et au lit.

THE FUNDAMENTAL THINGS APPLY

L’essentiel dans un journal intime, me dis-je, c’est de ne rien livrer qui soit de nature privée.
On n’est pas chez Voici, tout de même, on n’est pas chez Gala. On n’est même pas chez Télé 7 jours et encore moins sur Facebook.
Ceux qui veulent de mes nouvelles en prendront.
Ceux à qui je souhaite en donner en recevront.
Ce n’est pas l’objet.
Mais alors quel est l’objet ?

Quel est l’objet ? 

SON OF A GUN

Ca suffit, me dis-je, ça va bien comme ça.
On n’est pas là pour discutailler.
On n’est pas là, tout court, me dis-je.
On est las.

Alors, finito, basta, hasta la vista, safi baraka. 
À partir d’ici, plus de discussion. J’écris sans réplique et sans adresse.
À même le sable, à même le vent.
Je me suis installé dans la salle de cours théorique numéro un et j’écris en écoutant No Pussyfooting de Robert Fripp et Brian Eno.
J. s’arrête sur le seuil et me demande s’il peut venir faire du yoga avec moi.
– C’est open, je réponds.

Là-dessus, W. débarque avec sa liste de matériel. Normal, nous avions rendez-vous.
Mais S. n’est pas là. Il est en formation.
Alors j’écris un mail à S. pour autoriser W. à emprunter du matériel.
Voilà. 

Et je remets le son.
O. m’envoie une composition récente.
Je regarderai / écouterai tout à l’heure.
Et puis là, tout de suite, c’est S. qui entre.
– Ca y est j’ai terminé mon installation vidéo, qu’il dit.
– On peut la voir ? – que je demande.
– Pour sûr, qu’il répond.
– Bingo!

Alors on y va. Le temps que J. soit prêt et que je termine d’écrire cette phrase.

BIENVENUE À L’ESCALE

À cinq heures du matin, le réveil a sonné et rien ne m’avait préparé à cela.

Il fallait tout de suite être opérationnel, recoller les morceaux, avoir la bonne série de gestes.
À six heures la série de gestes n’était pas tout à fait exécutée.

À six heures cinq il aurait fallu être dehors, mais je n’y fus qu’à six heures neuf.
Il fallut courir.
Il fallut soupirer.

Mais l’on attrapa le train de 6h40 et l’on s’y reposa.
Tout cela pour se retrouver devant une classe vide avec un RT60 de quatre secondes.

À trois, on regarde Nuages Flottants de Mikio Naruse, ce qui nous mène à 11h40.
Evidemment, c’est une beauté, même avec une très mauvaise copie et dans des conditions de projection approximatives. Même avec deux étudiantes dont l’une regarde l’écran de son ordinateur portable et l’autre son téléphone.
De temps en temps, lorsqu’il y a une explosion dans le film, un regard furtif pour s’étonner, avant de revenir à l’inessentiel.

Tristesse et solitude.

Je remets en liberté mes deux étudiantes admirables de zèle.
J’écris des mails menaçants aux autres.

Bon, il y a cette étudiante qui est à Paris pour accueillir Xi Jinping, son dictateur chéri et je lui demande d’obtenir du président chinois une attestation de présence. Il y a tous ceux qui sont en stage, malades, en restitution de workshops, etc.
Tout le monde a une bonne raison de n’être pas là.
C’est rassurant.
Je programme un contrôle sur table de quatre heure pour la rentrée.

J’avance sur divers projets.
C’était bien la peine de se lever aux aurores, m’étais-je dit.

Pause poulet frit. Tarte au citron meringuée et café.

L’après-midi, c’est mieux et plus constructif.
J’aime écouter les étudiants de troisième année parler de leur travail pendant dix minutes sans interruptions et sans questions.
C’est disruptif et instructif.

Après, je suis allé m’acheter une cinquantaine de paire de chaussettes, une salade de lentilles, une tablette de chocolat noir 78% de cacao, deux pommes Fuji, un sandwich saumon-aneth et une bouteille d’eau minérale de la source Montclar, spécialement sélectionnée pour moi par Monoprix. J’en ai les larmes aux yeux.

Et je suis rentré, par le bus C3, arrêt Malo Plage. Dans le vent, jusqu’à l’Escale.
Chambre 317.
J’y suis.
Nous y sommes.
Avec vue sur la mer et sur le FRAC.
Il vente. C’est beau et un peu effrayant.

Comme je m’ennuie je poste quelques phrases pleines de mépris de classe sur Facebook, dans l’espoir de m’attirer une volée de commentaires haineux. Ca ne manque pas et ça me fait ma fin d’après-midi.

Dîner frugal. Et maintenant, temps calme.