
Réveil spontané, sans doute vers 6h mais je reste au lit jusqu’à 7h. Les bruits de la rue, camions, livraisons, me rappellent que nous sommes bien à Paris. Cette nuit aussi, rires et cris dans la rue.
Frigo quasi vide. Gaufres et café.
Je suis allé rendre la voiture à la gare du Nord, puis métro direction Montreuil.
Lecture de Thucydide dans le métro. Discours antagonistes des Corcyréens et des Corinthiens face à Athènes.
Paroles scindées en chapitres.
Pasolini (l’Evangile): plans sur plans ou variations de cadrage. Discours sur discours.
Phrase contre phrase.
Au nom des intérêts bien compris (Corcyréens).
Au nom du respect des lois et traités (Corinthiens).
Cynisme contre vertu.
Comment traduire plastiquement, musicalement, cette confrontation ?
La trahison contenue à la source de chaque acte de diplomatie.
La trahison comme toujours à supposer et pourtant pas systématique. Ce qui importe c’est de trahir le premier, au bon moment, juste lorsqu’on suppose que l’autre ne peut que vous trahir.
18h.
Je sors du MK2 Beaubourg, où je viens de voir le dernier Hong Sangsoo, Yourself and Yours.
Il s’y déroule un dispositif de fiction qui met sans cesse en échec toute certitude quant au statut de ce qui est vu, dit et joué, tout en ne présentant qu’une succession de scènes extrêmement simples et a priori réalistes. Comme si la notion d’harmonie se substituait à la notion de vérité, la remplaçait tout bonnement.
Il n’y a plus de vérité: simplement la coexistence de plusieurs présentations d’un même fait qui, du fait de la multiplicité des présentations n’est plus du tout le même fait, en fait, bien que le même cependant.
Très étrange.
Un peu comme quand François Fillon entreprend de justifier les salaires de Pénélope.
C’est, je crois, le premier film de HSS dans lequel les deux personnages qui forment le couple central prennent conscience de leur état d’être de fiction – elle, avant lui et lui la rejoignant – d’une manière Beckettienne. D’abord pour en souffrir, pour le dénier, puis pour s’en accommoder, l’articuler et vivre avec parce que cet être-fiction permet la fiction de l’amour qui justifie l’être.
Il y a cette idée – que l’on retrouve, appliqué au domaine de l’art, chez Dewey – que chaque scène est tournée pour un spectateur qui participe à la scène, qui termine littéralement la scène. Un spectateur qui s’intercale entre les fantômes, comme le protagoniste de l’Invention de Morel.
Les corps sont estropiés (Beckett, Buñuel). Une jambe cassée, une fille qui porte un cache-œil.
Les hommes aux bras courts, aux balancements d’enfants.
« Des loups et des enfants », dit-elle.
La femme et le pantin, bien sûr (je me demande si ce n’en est pas une adaptation avouée, je n’ai rien lu dessus encore mais je vais guetter les interviews).
L’alcool est mesuré verre à verre (« 5 verres d’alcool et deux bières », c’est la quantité qu’il lui autorise).
Promesses d’ivrognes.
L’autre chose, elle est purement technique et m’effraie un peu, c’est l’image: cette sensation de vidéo que je pensais disparue.
L’image est artificielle, lisse. Les contrastes ne sont plus ceux du cinéma. Les mouvements paraissent excessivement nets.
Je me demande si c’est le 60 Hz. Peut-être est-ce dû à l’appareil de projection ?
J’ai eu exactement la même sensation physique devant l’image du film japonais «Harmonium » vu récemment.
Il faut que je me documente un peu là-dessus.
Ca me fait un peu peur que la projection devienne cela.
Un peu peur seulement, parce que je sais qu’on s’habitue à tout.
Mais justement, c’est ça qui fait peur.