UN POIGNARD POUR LA SOIF

On ne pense pas toujours à prendre une photo.

Ou bien ce ne sont pas des photos faites pour être publiées.

Heureusement, il y a les photos prises d’avance. Les plans B. Les faces B.

J’ai faim. J’ai très faim. Je n’avais pas assez mangé à midi, parce qu’il pleuvait et que je n’étais pas content, à cause de mes chaussures percées. Et puis je m’étais dit que j’en avais un peu marre de m’habiller avec des sacs de pommes de terre.

Quand ce n’étaient pas des sacs poubelles.

Je m’étais dit que, quand j’aurais perdu encore douze kilos de plus, je me mettrai à la recherche de vêtements plus dignes d’être portés. J’avais eu envie d’être élégant. Envie de prestance.

Cela dit, les sacs de pommes de terre, c’est pratique. Surtout si l’on possède sept ou huit exemplaires du même sac. Plus besoin de se demander ce qu’on va mettre.

Evidemment, il faudrait au moins un sac bien coupé en huit exemplaires, avec sous-vêtements et accessoires. Donc huit fois le même jean noir bien coupé et à ma taille. Cela fait longtemps que je ne fais plus faire d’ourlet. Par paresse, bien sûr, parce qu’on ne trouve pas une retoucherie correcte dans le quartier. Je porte donc des pantalons trop longs, qui font des accordéons au-dessus des chaussures. Et puis mal coupés, parce que c’est du prêt à porter bas de gamme.

Il me faudrait une dizaine de jeans noirs taillés sur mesure. Une dizaine de t-shirts noirs (j’admet le gris, pour changer et le bleu lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement), quatre paires de chaussures étanches et confortables.

Et puis il me faudrait des vestes et des manteaux.

Je n’en peux plus de ces sweats à capuche et de ces doudounes Quechua.

Il me faudrait quatre costumes bien taillés (huit serait bien sûr plus confortable mais ne soyons pas excessif), une quinzaines de chemises fraiches et de bonne facture, une dizaine de jolies cravates, deux manteaux et deux imperméables, quatre bonnes paires de chaussures (au moins des Finsbury, mais des Churchs ou des Weston, ce serait mieux — je ne demande pas des Berlutti non plus, hein). 

Recevoir ça chaque année au moment des fêtes d’un admirateur inconnu, ce serait une amélioration notable de mon quotidien vestimentaire.

Pour l’instant, je m’en tiens aux sacs de pommes de terre mal coupés.

A propos, il faut que j’aille chez le coiffeur, au plus vite.